
Lire par-dessus l’épaule de Voltaire… Un rêve à la portée de tous les amoureux de la littérature désormais, depuis que les Editions des Saints Pères ont décidé de publier le manuscrit de Candide. Initialement publié en 1759, le plus célèbre texte des programmes du bac de français est disponible dans la version manuscrite et intégrale, en version limitée à 1000 exemplaires, certes, mais avec un souci de qualité tout à fait décalé par rapport à l’époque.
« Je crois aux beaux objets, plus encore depuis que le livre a entamé son processus de dématérialisation. On revient aux vinyles aujourd’hui et c’est le même mouvement qui s’engage pour le livre, en tant qu’objet de qualité », explique Jessica Nelson, écrivain, éditrice et cofondatrice avec Nicolas Tretiakow des éditions des Saints Pères qui s’attachent à remettre l‘objet-livre au centre des préoccupations des amoureux du livre.
Aventure sensorielleAu fil des pages imprimées sur un papier crème, doux, épais et léger à la fois, les mots de Voltaire défilent sous la plume encrée de l’auteur qui, malicieux et méfiant de la censure, l’a tout d’abord proposé sans le signer, comme il le faisait souvent, afin d’éviter la déplaisante mésaventure de ses Lettres philosophiques. Publié en 1734, ce brûlot qui chavira l’époque a été condamné à être brûlé et lui valut à l’auteur son exil de Paris pour dix ans.
A ces pages manuscrites, les éditions des Saints Pères ont décidé d’apporter de nombreuses gravures des éditions complètes publiées en 1787 : le texte respire, l’époque jaillit du texte. « Nous avons conscience de faire un métier passionnant, qui nous entraîne pour chaque aventure littéraire dans un univers différent, s’enthousiasme Jessica Nelson. Chaque publication représente pour nous une somme d’anecdotes étonnantes ».
Anecdotes dont on peut avoir quelque idée en se plongeant également dans l’application Candide réalisée avec la BNF par Orange, qui propose au-delà de l’œuvre, un parcours littéraire, intellectuel, artistique et philosophique de l’époque de Voltaire, avec la voix de Denis Podalydès et les vidéos de nombreux experts.
D’Amélie Nothomb à Jules Verne
Tout a commencé avec la publication d’Hygiène de l’assassin d’Amélie Nothomb en 2012, et la promenade érudite se poursuit à travers les siècles et les genres, en quête de grands textes mais sans limite éditoriale, s’intéressant par exemple et simultanément à La Belle et la bête de Jean Cocteau comme au manuscrit du Mépris de Jean-Luc Godard. « Je me passionnais pour le Cocteau quand Nicolas ne jurait que par Le Mépris. Nous avons donc décidé de les publier tous les deux ».
Tiens tiens, des divergences au sein des Saints Pères ? Foin de cela, juste deux personnalités littéraires différentes et parfaitement complémentaires. « Nicolas et moi nous sommes rencontrés quand j’étais à Sciences-Po et qu’il étudiait à la Femis, se souvient Jessica. C’est un garçon fantastique avec qui je partage les mêmes appétits littéraires. A l’époque, on s’était promis de travailler ensemble un jour. Aujourd’hui, il est le gérant des éditions des Saints Pères ».
Les Saints Pères, l’édition d’art des manuscrits
Candide s’ajoute aux grandes œuvres de Céline, Cocteau, Verne, Vian, publiées par les Editions des Saints Pères depuis 3 ans. L’objectif de cette petite société d’édition exigeante est d’offrir aux lecteurs contemporains les coulisses de la création littéraire à travers les époques. S’inspirant de la démarche de Diane de Selliers qui peut prendre dix ans pour publier un beau-livre tant la qualité, la singularité et l’originalité sont au cœur de son travail d‘éditrice, la maison des Saints Pères publie en moyenne trois œuvres par an pour un tirage qui va de 1000 à 3000 exemplaires.
Le pari des éditeurs
Chaque texte est bel et bien une gageure : fonctionnant à l’envie, Jessica Nelson et Nicolas Tretiakow choisissent une œuvre d’abord parce qu’elle les fait rêver. Ensuite, s’enclenche le long processus de dialogue avec l’institution qui les possède, l’auteur ou les ayant droits.
« Parfois, c’est une vraie chasse aux trésors pour trouver le bon interlocuteur et la version originale du texte ! Pour Candide, nous nous sommes adressés à la BNF avec qui nous entretenons d’excellentes relations, explique Jessica Nelson. Quant au Voyage au bout de la nuit de Céline, nous avons d’abord soumis notre proposition aux éditions Gallimard qui publient le texte et à l’avocat de la famille de Louis-Ferdinand Céline ».
La démarche des Saints Pères déborde de sa mission éditoriale pour tutoyer la conservation du patrimoine : « Grâce à nous, Le Voyage a été numérisé l’an dernier en collaboration parfaite avec le service de la reproduction des manuscrits de la BNF ».
Secrets de fabrication
Mais tout cela est cher, « d’autant que nous ne nous contentons pas de reproduire les micro fiches, précise Jessica Nelson. On restaure les scans des manuscrits, pour créer l’impression que l’auteur nous tend son carnet. A condition d’annuler les effets du papier et de l’encre du fac-similé. Pour cela nous travaillons avec une société qui restaure les films, comme La Belle et la bête de Cocteau. Chaque texte est un vrai travail de restauration du texte et de la page pour revenir à son état originel, c’est très émouvant ».
Chaque livre est proposé aux environs de 150 euros. « Et pourtant, c’est peu par rapport au travail demandé par ces publications. L’activité des Saints pères est coûteuse, mais nous avons la chance de pouvoir faire ce que nous souhaitons avec le souci d’exigence qui est le nôtre. On matérialise le livre, mais on dématérialise des postes qui pèsent lourd. Nous parvenons à réduire nos coûts en nous dispensant des distributeur et diffuseur, en travaillant à la fois avec un réseau de 200 librairies qui nous suivent et la vente directe sur notre site internet ».
De l’art à la spéculation
L’équipe permanente est composée des deux fondateurs et d’une salariée à Cambremer. Un fonctionnement à flux tendu pour une démarche artisanale où l’on ne compte pas ses heures, et qui permet de rétribuer les ayant droits, le travail de reproduction et d’impression au détriment des charges habituelles d’entreprises plus fournies. A l’arrivée, des textes prestigieux, et des objets de collection… qui peuvent devenir des investissements.
En mai 2015, on trouve sur Amazon un exemplaire de Vingt mille lieues sous les mers à 490 euros alors qu’il est indiqué en réapprovisionnement à 189 euros sur le site de l’éditeur. On trouve aussi un exemplaire de La Belle et la Bête initialement proposé par les Editions des Saints Pères à 139 euros, mis en vente à 1200 euros. Le tirage est épuisé, la demande flambe.
Karine Papillaud
Site de Candide
L’application d’Orange
Le mot "vintage"donne une connotation péjorative a tous ces grands classiques. Ces ouvrages ne sont pas comme ces films aux couleurs délavées et passées. La littérature est un art majeur comme disait Gainsbourg. Il est nécessaire à l'heure du Numérique que ces chefs d'œuvre continuent à passer les siècles. Merci pour cela a un site comme gallica. C'est notre patrimoine qui va disparaître si on ne le préserve pas. Alors félicitation pour cette initiative et ne la déprécions pas !