
Sacré Fauve d’Or du meilleur album 2012 à Angoulême, en janvier dernier, pour ses Chroniques de Jérusalem, le Québécois Guy Delisle, émigré en France, n’en est pas à son coup d’essai en matière de BD-reportage. Après Shenzhen (L’Association, 2000), Pyongyang (L’Association, 2003), il publie ses Chroniques birmanes chez Delcourt, en 2007. Tous ses ouvrages révèlent l’acuité de son regard, ainsi qu’un décalage humoristique. Dans ses cases tissées d’anecdotes, ses petites aventures épousent le rythme de l’Histoire... Entretien.
En quoi votre art se distingue-t-il de celui d’un Joe Sacco ? Quelle serait votre particularité ?
Je ne fais pas du reportage au sens « classique » du terme. Joe Sacco, lui, exerce son métier de journaliste. Il part dans un endroit avec une idée d’enquête précise, et celle de ramener un bouquin. Moi, je suis ma compagne (qui travaille pour Médecins sans frontières, ndlr). En gros, je prends mon travail sous le bras, bosse sur d’autres projets, et en parallèle, je prends des notes sur ce nouveau pays. Au retour, je fais le tri, selon la teneur des aventures à raconter, et estime, ou non, s’il y a matière à publier un ouvrage.
Vous possédez pourtant un véritable œil de témoin sur l’actualité…
Oui, mais j’ai parfois davantage l’impression de faire de l’ethnologie : j’amasse des petits bouts de cailloux, d’infinis détails, que je récolte via ma propre culture, mon regard... Mis bout à bout, ces sommes d’éléments, au départ insignifiants, finissent par brosser un portrait global du pays.
Dans vos BD, vous mêlez souvent des bribes de votre vie privée, vos petites histoires, à la grande Histoire en marche. Pourquoi ce parti pris ?
Voici pourquoi je considère mon travail comme du « soft journalisme » : parce que je parle de mes enfants, des inscriptions à l’école, des problèmes de poussette, des galères du quotidien… Toutes ces anecdotes me font rigoler, et je sais qu’elles touchent aussi de nombreux lecteurs, empêtrés dans des situations similaires… Je me mets évidemment en scène pour les raconter. Dans Chroniques de Jérusalem, par exemple, je ne m’adresse pas uniquement à des gens qui s’intéressent au Moyen-Orient. Le premier plan, c’est moi et le décor, la ville, le pays où j’habite. L’imbrication des deux s’impose à la base de ma création. En fait, avec ce genre de BD, j’ai l’impression d’écrire une grande carte postale à ma famille, pour expliquer ce que je vis pendant une année. C’est donc un patchwork de grandes épopées et de petites aventures.
Une carte postale que vous écrivez toujours au retour…
Oui, je prends des notes pendant une année. Si on les publiait tels quels, mes carnets constitueraient une sorte de petit journal de bord assez pénible à lire. Une fois de retour, après décantation, ces griffonnages me rappellent leurs lots de souvenirs et d’émotions… Je peux alors organiser la narration.
Vous arrivez aussi dans les pays avec un regard neuf, quasi naïf… Une façon de vous placer à portée de lecteurs ?
Ce qui me distingue d’un journaliste « standard », c’est que le lecteur sait d’où vient l’info. Je me dessine moi-même et commence par me décrire : un gars qui suit sa compagne, qui découvre la région et ne connaît strictement rien au conflit israélo-palestinien. Mais comme je suis très curieux, je creuse et fouille le sujet sur place… Du coup, ça réconforte ! L’information ne vient pas de Dieu le père, omniscient, mais d’un homme faillible et sûrement attachant !
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