
À vingt-neuf ans, Mélisa Godet livre un premier roman très réussi. Après des études à Sciences Po elle intègre les productions du Trésor où elle travaille sur des scénarios tels que Polisse ou Populaire. C'est sans doute de là que lui vient cette écriture cinématographique et ces petites notes, rappels iconographiques et sons qui closent les interviews de ses personnages.
Étonnant roman que ce roman, entre reportage kaléidoscopique et roman choral qui a pour unité de lieu le squat des Augustins, dont on vit l'ouverture : "Une vraie organisation : un serrurier, des cartons pour masquer les fenêtres et rester au moins quarante-huit heures dans l'appartement sans se faire repérer. Parce qu'en France si tu peux prouver que tu habites dans un endroit depuis plus de deux jours, techniquement, aux yeux de la loi, tu es chez toi."
Un roman, qui dans un équilibre funambulesque, nous fait marcher sur la corde sans jamais sombrer ni dans le pathos, ni dans le militantisme.
Ici se croisent des vies qui se racontent au micro de Malika, journaliste-blogueuse qui réalise une web série "paroles de squatteurs" pour donner de la visibilité à ces femmes et ces hommes, souvent accidentés de la vie qui se reconstruisent ici.
Malika donne la parole tour à tour à Gabor le sculpteur, Lino le référent du lieu, Marc l'éducateur spécialisé, Adal et Asia un couple de Maliens sans papiers, Antoine un toxicomane de quinze ans, Jaquotte "la vieille folle du coin de la rue", Simon et Margault deux étudiants,…
Au fil des pages et des jours qui passent, ils se racontent et peu à peu se tissent l'histoire du squat et les amitiés, tandis qu'en parallèle, sont mis au jour les petits arrangements de chacun avec sa conscience. Corruption et dettes, hommes politiques véreux et émigrés en détresse, familles déchirées et vies brisées. Personne n'est arrivé aux Augustins par hasard. Pas même Malika, dont on découvrira les réelles motivations de son intérêt pour le lieu et ses habitants. Un coup de théâtre qui donne au roman une force supplémentaire.
Une écriture directe, moderne très séquencée, qui fait penser à une pièce de théâtre. Une histoire d'autant plus vivante qu'elle est ponctuée par des interviews, qui donnent le sentiment d'entendre parler les protagonistes.
Un premier roman, remarquablement construit, empreint d'humanité et d'espoir, lauréat du Prix nouveau talent 2014.
Agathe Bozon
Photo©L'éveil de Lisieux