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Le Siècle des nuages

Le Siècle des nuages

 Philippe Forest, comment résumeriez-vous Le Siècle des nuages à un voisin, qui serait, ar exemple, passager comme vous d’un voyage en airbus ?
J'aurais bien garde de ne pas déranger un voisin de voyage en lui parlant de mon livre. Il y a mieux à faire en avion que de parler: regarder les nuages par le hublot, notamment. Mais si ce voisin m'interrogeait - à supposer qu'il m'ait reconnu, ce qui est peu vraisemblable car je ressemble d'assez loin aux photographies qu'on publie de moi-, je lui dirais qu'il s'agit d'une sorte d'épopée moderne, qui chante les exploits des pilotes qui participèrent à l'une des dernières utopies du XXe siècle, l'aviation.

Avec un héros, à la fois exemplaire et singulier, aviateur ordinaire qui se trouve avoir été mon père: jeune pilote de 17 ans formé dans les rangs de l'Aviation Populaire, jeté en juin 1940 sur les routes de l'Exode, se retrouvant pilote de chasse aux commandes d'un P-47 Thunderbolt aux Etats-Unis, recruté par Air France en 1946 et y terminant sa carrière en 1981 dans la cabine d'un Jumbo-Jet.

- Vous quittez la veine intime pour écrire une épopée collective. N’est-ce pas une vraie prise de risque ?
Je veux bien le laisser dire si cela contribue à mettre en valeur mon nouveau roman. Mais, entre nous et en vérité, je crois sincèrement que la vraie prise de risque personnelle est dans l'expression de l'intime. J'en ai fait l'expérience avec plusieurs de mes livres comme L'Enfant éternel,

Toute la nuit ou Le Nouvel Amour, qui touchent à une expérience pathétique (en l'occurrence la mort de ma fille, à quatre ans, du cancer) qui oblige l'auteur à s'exposer et qui expose le lecteur également à être confronté à une réalité qui le bouleverse et suscite en lui, comme dans la vieille tragédie, la pitié et la terreur avec ce que cela entraîne d'attraction et de répulsion. Cette dimension intime n'est pas absente du Siècle des nuages. Mais l'épopée relègue le drame au second plan. S'il y a prise de risque dans ce nouveau roman, elle est poétique plus que personnelle. Il faut que le roman change de régime. Et cela demande en effet une énorme énergie mentale, d'un autre ordre.

- Le Siècle des nuages est-il un roman sur votre père, un roman sur l’aviation ou une histoire personnelle du XXe siècle ?
Les trois à la fois. Et la difficulté a consisté à trouver une forme "trinitaire" telle que le roman total soit constitué de ces trois romans à la fois dont chacun, tour à tour, contienne les deux autres. Cette fragile comparaison théologique me va pour un livre qui traite de la paternité et du ciel et qui, à ce titre, pose aussi beaucoup de questions religieuses, depuis le point de vue athée qui est le mien.

- Il y a aussi dans Le Siècle des nuages toute une réflexion sur l’Histoire et la démarche de l’historien.

J'étais parti pour faire un roman historique classique et, dès les premières pages, j'ai compris que quelque chose ne me convenait pas dans cette forme. Je crois que le prologue témoigne de cette prise de conscience immédiate. Le roman historique pose un regard rétrospectif sur le passé qu'il reconstitue linéairement à partir du présent et de ses certitudes d'après coup. Une telle posture permet de produire des livres simples, lisibles, assurés d'eux-mêmes... et totalement falsificateurs.

Car il s'agit au contraire de rendre compte de l'incertitude des hommes lorsque ceux-ci sont plongés dans une histoire opaque dont ils ignorent tout à fait le sens - c'est-à-dire la signification et la destination. C'est cette incertitude dont j'ai essayé de rendre compte en écrivant une sorte d'anti-roman  qui, en effet, met en question la manière naïve et mensongère avec laquelle on raconte en général l'Histoire.

- Revenons à votre voyage dans cet hypothétique airbus. Comment définiriez-vous votre métier d’écrivain à ce voisin qui décidément va se mettre à la lecture ?
Pour filer la métaphore, je lui dirais qu'un écrivain est comme un aviateur, qui doit savoir très précisément ce qu'il fait alors même qu'il a l'air dans les nuages, un fanatique de la Ligne, semblable à un vieux pilote de l'aéropostale, décidé à faire passer coûte que coûte un chargement un peu insignifiant de mots (le courrier, le roman) à travers la nuit.

 

Propos recueillis par Karine Papillaud

Le siècle des nuages, Frédéric Forest, (Gallimard), 2010

 

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