
Le livre en format poche détiendrait-il la mémoire littéraire de notre temps ? En tout cas, c’est le «poche» qui a révolutionné la lecture et ce, bien avant le numérique.
Créé par Henri Filipacchi en février 1953, Le Livre de Poche proposait alors une édition plus facile à transporter, bon marché, dont le faible prix s’expliquait par une qualité de papier moindre et des coûts de production serrés. Cette initiative du secrétaire général de la Librairie Hachette a été pourtant mal accueillie et on ne pariait pas sur son avenir. A tort : avec un milliard d’exemplaires vendus depuis sa création il y a soixante ans, Le Livre de Poche est non seulement l’édition pionnière du poche, mais il est aujourd’hui le leader du marché adulte.
On va brader la lecture !
Au moment de sa création, il y a soixante ans, les Cassandre ont annoncé la mort de la littérature, trop bradée : les premières publications du Livre de Poche, en février 1953 valent 2 francs, c’est à dire un prix situé entre celui d’un quotidien et d’un hebdo. Le succès n’arrive effectivement pas tout de suite, il attend la jeunesse du baby-boom qui va donner un élan formidable à cette édition faite pour leurs portefeuilles minces. Rapidement la concurrence arrive avec J’ai Lu, Presse Pocket, Folio et les autres formats bon marché qui essaiment depuis soixante ans, et signent la vigueur de ce secteur éditorial. L’anniversaire du Livre de Poche offre l’occasion d’un bilan chiffré : 5200 titres sont actuellement proposés à son catalogue, avec 400 nouveautés publiées chaque année, et 18 millions d’exemplaires vendus pour la seule année 2012.
Un visionnaire
Henri Filipacchi, qui a contribué au succès de La Pléiade de son ami Jacques Schiffrin dans les années 30, et à la création de la Série noire de Gallimard, a le génie du commerce du livre. Il associe d’emblée Albin Michel, Calmann-Levy, Grasset et Gallimard à l’aventure exceptionnelle du poche. Après la littérature, ce sont toutes les branches de l’édition française qui se retrouvent publiés dans ces versions bon marché : les classiques arrivent dès 1958, préfacés par des écrivains comme Paul Morand, Henri de Montherlant ou Jean Giono. Le policier débarque en 1960 avec Agatha Christie et Gaston Leroux, jusqu’à une collection intimiste faite de mémoires, journaux ou de correspondance, lancée en 2010 et intitulée La Lettre et la Plume, où l’on retrouve par exemple les Mémoires de Saint-Simon. Filipacchi ne verra pas son idée prospérer, il meurt en 1961.
Aujourd’hui le Livre de Poche a vu son prix s’envoler et se situer bien au dessus du quotidien et de l’hebdo. Mais il reste en moyenne deux à trois fois moins cher qu’un grand format. Alors, bon pour la retraite, le format de poche le plus célèbre de France ? Pas vraiment.
Karine Papillaud