
Eduardo Manet, né en 1930, est le petit-fils d'Edouard Manet. Le Fifre, est éponyme de la célèbre toile, dont on suppose que le modèle serait son premier fils illégitime.
Le roman raconte la passion entre l'illustre peintre et la jeune Eva Gonzalès, qui sera son élève avant de devenir sa maîtresse et la mère de son deuxième fils, Eduardo Rafael Gonzalès-Manet.
Il y a la famille Gonzalès, d'origine espagnole, composée du père, journaliste et romancier, de la mère, pianiste, chanteuse et musicienne talentueuse et de leurs deux filles Eva et Jeanne. Très jeune la petite Eva présente une forte attirance pour la peinture doublée d'une sensibilité et d'un don hors du commun qui se révèleront lorsqu'elle découvrira Goya et ses personnages démoniaques qu'elle recopie à tout juste douze ans. Son père doit se rendre à l'évidence, sa fille est faite pour l'Art.
Quelques années plus tard, à seize ans, elle intègre l'atelier de Charles Joshua Chaplin pour en devenir la meilleure élève qu’elle quittera pourtant seize mois plus tard pour dit-elle "voler de ses propres ailes". Un ami de la famille propose de lui faire rencontrer Edouard Manet. Le scandaleux Edouard Manet, qui a osé représenter une femme nue entourée de messieurs vêtus, dans son Déjeuner sur l'herbe. La rencontre a lieu dans la maison Gonzalès malgré les inquiétudes du père pour sa fille, face à un peintre à la réputation sulfureuse.
Le roman se poursuit au travers de sept cahiers rédigés par Jeanne, sœur cadette et également peintre. Elle consigne le quotidien de ce qu'elle observe et comprend des deux passions qui habitent sa sœur Eva : la peinture pour laquelle elle est douée et Manet, de 17 ans son aîné avec lequel elle entretient une relation clandestine et orageuse mais en 1872, Eva disparaît mystérieusement….
Ces cahiers, datés, nous permettent, au-delà du Maître, de découvrir et suivre l'homme dans toute sa personnalité avec ses failles, ses blessures et son anticonformisme. Un peintre dont les toiles sont régulièrement refusées par le jury de l'exposition du Salon et que pourtant Zola défend dès 1866 : "Nos pères ont ri de Courbet et voilà que nous nous extasions devant lui. Nous rions de Manet et ce seront nos fils qui s'extasieront en face de ses toiles. La place de M. Manet est marquée au Louvre".
Un homme qui aime les femmes et qui a tant de difficultés avec la paternité, entre un premier fils, Le Fifre, qu'il fait passer pour son filleul et un deuxième qu'il ne verra jamais. Par ailleurs, Eva protège Manet pour qu'il se consacre tout entier à son Art.
En mettant en lumière cet aspect familial et méconnu d’Edouard Manet, l’écrivain nous plonge dans l’époque du Second Empire pour nous imprégner de son effervescence, de son foisonnement intellectuel et culturel où se croisent Zola, Fantin-Latour, Meissonnier, Durand-Ruel, Claude Monet, Alfred Sisley, Auguste Renoir, Camille Pissarro, Edgar Degas, Berthe Morisot….
Un roman passionnant qui donne une incroyable envie de revoir les toiles du peintre et particulièrement son Portrait d'Eva Gonzalès, dont l'auteur et petit-fils de Manet écrit dans le prologue : "Ce tableau est un chant d'amour. Il proclame avec une certaine insolence, une passion brûlante entre le peintre et son modèle".
Agathe Bozon
Le Fifre, Eduardo Manet, édi.Ecriture, (2011)