
C’est l’un des termes les plus utilisés de notre époque. Pourtant, la définition floue du « cool » échappe parfois au sens commun. En mobilisant sémiologie, étymologie et archéologie culturo-pop, le journaliste des « Inrockuptibles » Jean-Marie Durand tente de cerner un mot dont « personne ne veut échapper à la loi d’airain de sa promesse et de sa contrainte ». Alors, faut-il prendre le cool au sérieux ? Bien sûr !
Chaque semaine, « Les Inrockuptibles » pose l’irritante question : « Où est le cool ? », lui donnant tour à tour une définition dans les champs de la culture branchée ou de la consommation pointue. Mais pour Jean-Marie Durand, rédacteur en chef adjoint de l’hebdo culturel, « le cool est partout et nulle part »... Dans son livre « Le cool dans nos veines », il tente donc de « décrire ce partout et de circonscrire ce nulle part » : cerner les contours d’un mot-valise, aux définitions multiples et volontairement floues, pour mieux cerner une époque justement en perte de repères et une génération constamment tentée par le papillonnage.
Pour Jean-Marie Durand, le « cool » d’aujourd’hui est d’abord une réaction face au nouveau mal du siècle, cette inquiétude partagée, celle « d’être au monde ». La vie (la crise...) est absurde ? Opposons-lui une attitude, ou plutôt, une « sensibilité », qui « n’imprime sa signature que dans la fugacité d’un moment ». Comme tous ceux qui se noient dans les « nouveaux modes de circulation de la notoriété », adoptons la « modernité liquide » de Kate Moss, selon une expression du chercheur en art du langage et écrivain Christian Salmon.
Le cool ? Des pratiques individuelles disséminées
Pour autant, difficile de dégager un système cohérent, un courant artistique, une pratique bien établie et codifiée. Pour Jean-Marie Durand, qui emprunte indifféremment les chemins de la sociologie, de l’épistémologie et de « l’archéologie » des mots, le cool ne forme pas un mouvement : « Il s’en tient à des pratiques individuelles disséminées que seule l’accumulation transforme en modèle permanent », a fortiori quand on voit la banalisation de l’usage du mot dans nos échanges informels et superficiels... Mais il s’actualise régulièrement, aussi bien chez les écrivains que dans le mouvement skate, dans la méditation tibétaine que dans l’esprit de la fête de Mondino...
Depuis Miles Davis... et la Renaissance italienne
Ce qui est certain, en revanche, c’est que le « cool » plonge ses racines bien au-delà du XXe siècle. Si le terme apparaît en effet en 1957 avec l’album de Miles Davis « Birth of the Cool » et son prolongement, le « cool jazz », version détendue du bebop, Jean-Marie Durand trouve des racines de cette « sensibilité » avant le XXe siècle. Chez les esclaves, d’abord, où ce qui pouvait passer pour de la nonchalance était une réaction consciente ou non face au maître et à l’oppression – l’idée d’un « cool » comme mode de survie primaire traverse d’ailleurs tout l’essai. On peut également remonter encore plus loin, à la Renaissance et ce que l’écrivain italien Baldassarre Castiglione a décrit comme la « sprezzatura » dans son fameux « Livre du courtisan » : « L’habilité de déguiser ce que l’on désire et ressent vraiment derrière un masque d’apparente nonchalance ». Soit une définition finalement très proche du masque rigide arboré par d’autres grands « cools » de l’Histoire, comme les pionniers de la scène psychédélique américaine. Dans cet essai rédigé dans une langue très pure, jamais complaisante avec son sujet, Jean-Marie Durand prouve que l’apparent papillonnage actuel, la « fugacité d’un moment », peut également s’inscrire dans le temps long et nous libérer de certaines affres de l’existence.
Damien Ramey