
Née à Chambéry en 1923, Edith Reffet a commencé sa carrière d'institutrice en Savoie dans un petit village perdu dans la montagne. Elle avait 20 ans en 1943, comme Suzanne, son héroïne. Elle publie son premier roman L'ivraie en 1956, Le Bout du Monde est édité à titre posthume par ses filles qui en retrouvèrent le manuscrit. Edith Reffet s'est éteinte en 2008.
Octobre 1943 – août 1945. Ces sombres années, donnent naissance, sous la plume d'Edith Reffet à un lumineux récit, largement autobiographique, car comme le précise l'auteure en ouverture Tous les personnages dont il est question en ces pages ont réellement vécu.
Écrit sous forme de journal, il nous plonge dans le quotidien de Suzanne et de ses deux amies Jo et Hélène. Trois vies qui pourraient sembler ordinaires, si elles ne s'écrivaient sous l'Occupation.
Dans le village, si bien nommé Le Bout du Monde, Suzanne, institutrice de vingt ans, enseigne le calcul et l'orthographe à quinze bambins. Logée au-dessus de sa classe, elle se lie d'affection avec Mémé Mollard, 63 ans, chez qui elle rencontrera Roger. Régulièrement elle revoie ses amies de l'École Normale Jo et Hélène. Jo, l'indomptable à la fascinante beauté et la sage Hélène, riche héritière de l'hôtel Magnin. Et puis il y aura François, auquel elle s'abandonnera sans amour, sans conviction.
Mais sous l'apparente docilité de Suzanne boue un tempérament volcanique. Amour, désir, peur, amitié, résistance, admiration, jalousie, maladie, suicide, haine, mort… un peu plus d'un an aura suffit pour que l'obéissante Suzanne se découvre un tempérament fort, impétueux et volontaire et éprouve les contradictions de la vie.
Témoignage vibrant d'une époque, qui révèle les personnalités, cette histoire est pourtant intemporelle. Le contexte donne une couleur particulière au décor, mais surtout, comme le confie Suzanneà son journal La guerre a ceci de particulier qu'elle vous empêche de faire des projets à longue échéance, qu'elle interdit d'échafauder l'avenir et ne permet de vivre que dans le présent, à la rigueur dans l'immédiat.
Une petite pépite de littérature qui dans un style d'une exceptionnelle pureté, sans fausse pudeur, ni narcissisme, nous permet de comprendre et ressentir la vie des jeunes gens de cette sombre époque. L'histoire n'est jamais vampirisée par la guerre. Elle est un catalyseur qui exacerbe les sentiments, accélère les prises de conscience et précipite les choix. Edith Reffet réussit le tour de force de nous faire presque oublier le temps de guerre en nous attachant aux transports de l'âme des trois amies.
Agathe Bozon
Le Bout du Monde, nos plus belles années, Edith Reffet, Parole éditions, 2010
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