
Que les lecteurs de Virginia Woolf se réjouissent et que les autres profitent de l’occasion pour entrer dans l’univers de cette éblouissante écrivaine : une pépite vient de sortir qui rassemble sept textes dans un recueil, contrepoint plein de sens à Mrs Dalloway.
La surprise est merveilleuse, on la doit aux jolies éditions des Allusifs qui publient comme un cadeau un livre à ne pas manquer, La Soirée de Mrs Dalloway. Prolongeant le chef d’œuvre Mrs Dalloway, ce recueil de sept nouvelles parachève un projet voulu par Virginia Woolf au début des années 1920, d’écrire un roman en sept chapitres autonomes qui aboutirait à une seule et même soirée. Elle écrira finalement Mrs Dalloway en 1925, mais les bribes de son projet initial étaient épars. Restait à les assembler, ce que la critique Stella McNichol a fait en 1973, sous la fine traduction de Nancy Houston cette année.
Les textes racontent une époque où « une dame se reconnaît à ses gants et à ses chaussures », comme remarque l’un des personnages de « Mrs Dalloway dans Bond Street ». Un monde bourgeois qui hésite entre la tradition britannique et le monde qui vient, dans une société où la Reine compte tellement « pour les pauvres (…) et les soldats ». On ne peut s’empêcher de penser au monde de Gatsby, à des milliers de miles de là, tracé par la plume désenchantée de Fitzgerald. Ou encore à Proust, pour le style, sans doute avec Woolf l’un des écrivains pionniers d’un modernisme littéraire encore un peu choquant pour le public. La littérature absorbe alors l’onde de choc de la guerre de 14, et l’on sent dans l’œuvre de Woolf comme une légère latence dans le fil narratif de la conscience intérieure de la narratrice.
Mrs Dalloway porte un regard aigu nimbé de rêveries et d’introspection vertigineuse sur ce qui l’entoure, quand elle ne laisse pas la narration à d’autres héroïnes. Dans « Présentations », on la voit ainsi évoluer dans une soirée sous les yeux d’une jeune femme qui fait ses débuts dans le monde, débuts qui seront pour toujours tatoués par la scène anodine d’un gentleman écrasant une mouche. Mabel est terrifiée de ne pas être dans le ton dans « La Nouvelle Robe », et « c’était étonnant de penser qu’une chose aussi minuscule pouvait renfermer tant d’humiliation et de torture et d’autodétestation et d’efforts et de passions ». Chacune des phrases de Virginia Woolf mérite de s’arrêter. Un monde s’ouvre à travers la délicatesse de ses mots, dans l’oscillation de la conscience, mouvante, qu’ils portent.
La traduction de La Soirée de Mrs Dalloway par Nancy Houston est un cadeau supplémentaire pour le lecteur et un hommage à Virginia Woolf : à travers ces sept textes, deux féministes, théoriciennes de la littérature, entretiennent comme un dialogue qui sert merveilleusement l’œuvre.
Karine Papillaud
Je découvre l article et je vais demain chez mon libraire découvrir ce recueil.