Inspirée d’un fait réel, l’affaire Joyce Hatto qui a scandalisé le milieu de la musique en 2006, La Double Vie d’Anna Song ne se réduit pas à une formidable histoire d’imposture : il s’agit là du deuxième roman d’une jeune romancière particulièrement brillante et prometteuse, qui maîtrise son roman avec la poigne d’un écrivain chevronné.
Anna Song aurait été une pianiste mystérieuse et surdouée, qui vivait en recluse depuis des années, distillant ses disques par l’entremise de son producteur et mari Paul Desroches. A sa mort, celui-ci prend sa plume pour raconter la vie de ce personnage discret et les origines dramatiques de sa famille vietnamienne, mais aussi leur magnifique histoire d’amour commencée dès l’enfance.
D’un chapitre l’autre, l’histoire poignante d’Anna est interrompue par des reproductions d’articles de la presse qui vient de découvrir la scandaleuse supercherie : Anna Song n’aurait pas joué une seule des notes qu’on lui prête, et son œuvre ne serait que le fruit d’une remastérisation habile d’œuvres pillées par Paul Desroches. Double, triple ou quadruple vie d’Anna Song ? Le lecteur n’est pas au bout de ses surprises dans cette histoire admirablement composée, entraînée dans sa propre puissance dramatique qui va crescendo.
Evidemment, la vie d’Anna, tout comme les articles cités sont l’œuvre authentique cette fois-ci de l’écrivain Minh Tran Huy. Et il y a de nombreuses façons de lire ce roman riche et documenté, écrit dans un style lumineux et vif, sans excès de style, conçu comme un jeu de piste : la musique, le plagiat, l’amour ou le mensonge sont autant de voies d’accès.
Minh Tran Huy a truffé de références discrètes à des écrivains qu’elle aime, comme Duras ou Murakami, et telle un écrivain sériel comme Modiano, a lancé des passerelles avec son premier roman, La Princesse et le pêcheur, qui évoquait une amitié amoureuse entre deux adolescents sur fond de mémoire du Vietnam.
Karine Papillaud
La Double vie d’Anna Song, Minh Tran Huy (Actes Sud), 2009
