
A l'occasion de la sortie de son nouveau roman, Carole Martinez nous présente sa bibliothèque idéale. Prix Goncourt des lycéens 2011.
Du domaine des murmures (Gallimard)
En 1187, une jeune fille qui ne veut pas se marier, n’a pas d’autre choix que la religion. Esclarmonde, fille de seigneur, âgée de 17 ans, demande ainsi à son père de la faire emmurer dans une petite chapelle de son domaine. De sa cellule, elle reçoit et conseille des pèlerins attirés par la réputation de cette jeune vierge qui a pourtant donné naissance à un enfant depuis sa geôle. Un portrait de femme magnifique et un regard sur la maternité bouleversant d’intelligence, une intrigue forte et inédite.
Comment parler de mon parcours de lectrice en dix étapes ? Comment choisir parmi tous ces titres qui m’ont accompagnée depuis l’enfance? Ceux qui m’ont permis de traverser mes nuits d’insomnie et leur chargement d’ombres ?
Lire, c’était d’abord cela : résister à la solitude nocturne si pleine de frayeurs. J’ai longtemps lu à haute voix pour dissiper ce silence où mon imaginaire tissait ses peurs. Je me souviens d’un recueil de nouvelles de Maurice Genevoix L’hirondelle qui fit le printemps et de tant d’autres contes lus ou écoutés avant le terrible sommeil. D’une énorme anthologie de la poésie de Victor Hugo dont les vers ont peuplé mon enfance, je me souviens de la démesure de ce verbe, de ces vagues formidables qui agitaient mon lit. Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire si chargées de mystère pour la petite fille que j’étais. De toutes ces lectures clandestines, interdites, car la nuit « c’est fait pour dormir ! » disait maman.
Ce n’est qu’ensuite que j’ai abordé les romans : une lecture diurne, autorisée.
Vers douze ans, j’ai aimé Rebecca de Daphné Du Maurier. Autour de treize ans, Narcisse et Goldmund et Le loup des Steppes de Herman Hesse. Et puis tout s’est bousculé en moi, sans cesser de relire les mêmes vers en boucles, j’ai littéralement dévoré du papier, découvert Albert Camus (La Chute et L’Exil et le royaume, surtout) et Gérard de Nerval dont je connais encore certains vers par cœur (mon dernier roman a failli s’intituler « Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée »). Madame Bovary de Gustave Flaubert et La Métamorphose de Kafka ont marqué de leur sceau l’été de mes seize ans.
Quant au théâtre, il m’a permis d’engranger des textes magnifiques de m’imprégner des alexandrins de Bérénice de Racine (a lire sur Lecteurs.com), de gueuler la révolte d’Electre (Les Mouches de Sartre) ou celle de Mara dans L’Annonce faite à Marie de Paul Claudel. C’était mon corps entier engagé dans le texte d’un autre. Et puis, il y a ces livres qui m’ont arrachée à ces douleurs qu’on croit mortelles, à mes peines de jeune femme, à mes premières séparations, : L’Enfant de sable de Tahar Ben Jelloun, La Vie devant soi de Romain Gary et Léon l’Africain d’Amin Maalouf.
Qu’aurais-je fait sans eux ?
Ces textes m’ont ramenée avec force du côté des vivants en ces jours où le vide me tentait, où la fenêtre de ma chambre de bonne me paraissait la seule issue.
J’ai déjà plus de dix titres dans mon sac, mais je ne peux pas m’arrêter là, j’ai à peine vingt ans et je n’ai pas même commencé mes études de Lettres. Il me faut encore citer Le Roi des Aulnes de Michel Tournier, lu grâce au poème de Goethe récité tant de fois comme une terrible comptine par mon amie Anne-Caro quand nous étions petites. Et cette folie qui m’a prise en ouvrant Le Bruit et la fureur de William Faulkner, mon enlisement progressif dans la boue de La Route des Flandres de Claude Simon, la merveilleuse Beloved de Toni Morrison.
Et pour finir L’Oratorio de Noël de Göran Tuntröm, La Légende de Gösta Berling de Selma Lagerlöf et Pedro Paramo de Juan Rulfo. J’en oublie, mais je suis en vacances et le soleil m’appelle dehors. La vie ne se limite pas aux livres.
Karine Papillaud
photo: C. Hélie©Gallimard