
Norman Mailer disait de lui qu’il avait une douzaine de visages, à l’instar de Marlon Brando. Jackie, sa femme, le voyait en héros légendaire arthurien : dans Kennedy une vie en clair-obscur (Armand Colin), Thomas Snégaroff parvient avec une délicatesse rare à rassembler les visages du président américain qui a le plus marqué les esprits de ses contemporains.
Le 22 novembre a marqué les 50 ans de la mort de celui qu’on appelle JFK. Parmi tous les livres qui sont publiés à l’occasion de cette date, celui de Thomas Snégaroff, spécialiste de l’histoire présidentielle américaine, s’impose. Laissant de côté les ragots sur sa vie amoureuse, Marilyn en tête, ses relations avec la mafia et les soupçons de complot qui entourent sa mort, Snégaroff replonge dans les racines familiales pour tenter d’éclairer la formidable machine à gagner des Kennedy… et le prix exorbitant qu’il leur a fallu payer. John ou plutôt « Jack », selon le surnom qu’on lui donne, se révèle un enfant maladif, et un élève sans éclat qui se destine au journalisme. Sa vie est une collection d’erreurs d’aiguillage et de choix par défaut. S’il devient héros de guerre c’est en rattrapant miraculeusement sa propre bourde qui aurait pu coûter la vie de nombreux hommes. S’il se lance dans la course politique c’est pour reprendre les ambitions de son père, là où la mort de son frère aîné les a laissées. Car c’est Joe Jr qui aurait dû devenir président dans le projet familial. Jack n’a fait qu’endosser la veste et la vie de son frère, en bon fils à papa soumis. « Je boxe contre une ombre qui gagne toujours », disait-il sans illusion en parlant de son frère disparu.
Citant largement ceux qui ont côtoyé Jack, Thomas Snégaroff recompose un visage finalement assez éloigné de la légende : JFK est malade depuis l’enfance, et sans doute la maladie a contribué à façonner le caractère d’un homme à qui la famille ne permettait ni les faiblesses ni les échecs. Et si on lui diagnostique la maladie d’Eddison à l’âge adulte, rien ne promettait que l’homme aurait pu vivre plus longtemps que ne l’a décidé son assassin : Jack était condamné à mourir jeune et à vivre soutenu par des calmants, antalgiques et autres drogues plus dures. C’est donc un Kennedy hanté par l’idée de la mort et boosté par les mystérieuses pilules du docteur Max Jacobson qui gagne les élections de 1960. JFK, un anti-héros de notre temps ? C’est finalement par ses ombres et malgré sa sécheresse de cœur avérée que se dessine la vraie légende tragique de John Fitzgerald Kennedy. Un personnage racinien plus qu’une star séduisante qui s’impose au-delà d’un bilan politique finalement presque anecdotique. Dans Kennedy, une vie en clair-obscur, Thomas Snegaroff a réussi son pari : faire surgir l’homme dans la fonction, et déjouer les volutes de la renommée et des angélismes médiatiques.
Karine Papillaud