
La publication récente en format Pocket du succès de Stéphane Michaka, Ciseaux, est l'occasion de revenir sur ce roman choral inspiré du célèbre écrivain américain Raymond Carver.
Auteur de quatre pièces de théâtre et du très remarqué roman noir La Fille de Carnegie (2008), Stéphane Michaka, 39 ans, confirme son talent avec ce roman à quatre voix. Rencontre.
Pourquoi choisir Raymond Carver comme personnage central de votre roman ?
Ciseaux n’est pas un roman sur Carver. C’est l’histoire d’un anonyme. Un fils d’ouvrier qui se met en tête d’écrire, de mettre sa vie en tranches, c’est-à-dire en nouvelles. Manque de pot : il tombe sur un éditeur qui le coupe, le réduit encore plus… Qu’est-ce qu’il va rester de sa vie après ça ? De son mariage ? De ses espoirs ? De sa lutte avec la boisson ? Le héros de Ciseaux, c’est Raymond avant Carver. Son nom de famille n’est pas mentionné dans le livre. Et les trois autres personnages ont autant de place que lui dans le roman. Si je me suis inspiré de la vie de cet homme et de ses relations avec son entourage, c’est parce qu’elles ont une dimension universelle. Que l’on écrive ou pas, qu’on vive en France ou aux États-Unis, on peut tous se reconnaître dans cette histoire.
Cette fiction est-elle le prétexte à une peinture au vitriol du monde de l'édition ?
Plutôt que les mœurs de l’édition, Ciseaux se penche sur l’artisanat éditorial. Comment un éditeur, quand il intervient sur un texte, le transforme, l’améliore. Et au-delà de l’édition, comment on accompagne un auteur au quotidien, que l’on soit son coach, son conjoint, ou les deux à la fois. Et quel est le prix payé par ces amoureux des mots, amoureux au point qu’ils en oublient leur famille et leur épanouissement personnel ?
Les dialogues au cordeau expriment le côté passionnel de ces relations, sont-elles inhérentes à la création littéraire ?
La création littéraire, dans ce roman, est une aventure comme une autre. Je me disais, en l’écrivant, que Raymond pourrait aussi bien réparer des toitures ou être joueur de poker professionnel. Ce qui importe, c’est son ambition d’être l’un des meilleurs. Et le fait que tout, dans sa vie, va à l’encontre de cette ambition. Même ceux qui prétendent l’aider. Au début, Marianne, la future épouse de Raymond, est âgée de 15 ans et tout commence par un coup de foudre entre adolescents. Elle partage la passion de Raymond pour les livres parce qu’elle a soif de connaissances et veut échapper à sa condition. L’ambition de Raymond fait souffler un vent de liberté dans sa vie. Le drame est qu’elle va sacrifier son ambition à celle de son mari, alors qu’ils avaient, au départ, le désir de s’épauler. Ciseaux raconte aussi le sacrifice de Marianne.
Le roman choral sert-il à mieux mettre en exergue la personnalité du personnage où est-ce un gage de liberté créative ?
Quand les personnages disent « je » l’un à la suite de l’autre, ils deviennent chacun le héros temporaire du livre. Et le roman finit par dire « nous » au lieu de se concentrer sur un seul personnage. C’est ce que permet la forme chorale. C’est une narration démocratique, qui entre en conflit, comme toute démocratie, avec la propension qu’ont beaucoup de gens à parler plus fort que les autres – et de certains à parler si bas qu’ils s’excluent eux-mêmes… Mais la liberté créative est surtout pour les lecteurs. Chaque personnage vient défendre sa cause devant nous, essaie de nous séduire, nous chuchote à l’oreille. À nous, lecteurs, de construire notre propre histoire avec les personnages. En les détestant et en les aimant tour à tour. Mon rêve de romancier, c’est de transformer l’acte de lire en geste créateur.
Propos reccueillis par Hassina MIMOUNE