De Mastroianni aux Brigades rouges, la Dolce Vita de Simonetta Greggio raconte toute l’histoire de l’Italie des années de plomb. Magistral, fascinant, ambitieux, le roman a manqué d’une voix le prestigieux Prix Renaudot, mais a reçu le Prix européen Madeleine Zepter.
Rencontrée au moment de la sortie du roman, Simonetta Greggio parle sans détours d’un sujet qui lui est cher et qu’elle connaît profondément bien.
J’ai écrit par désespoir, espoir, mue par la révolte et la colère, la passion pour mon pays. Pour comprendre ce qu’est l’Italie aujourd’hui. Et puis j’ai appris à écrire en France, je vis en France, il fallait que j’écrive quelque chose pour moi. Quand on écrit, on se trouve confronté à l’obligation de toucher au plus profond de soi. Et jusqu’au plus profond de moi, je suis Italienne.
Par touches, comme d’ailleurs pour tous les autres romans jusqu’à maintenant. Au départ, je sais ce que je veux raconter, et j’ai une structure narrative qui me paraît convenir, mais en cours de route je suis obligée de faire face à des difficultés qui apportent des nouvelles interrogations. Pour Dolce Vita, il n’y avait au départ qu’un monologue – celui de Saverio – qui est devenu un dialogue – avec le prince – à quoi se sont ajoutés les tableaux historiques et le reste. Je me suis laissée guider par ma compréhension, au fur et à mesure, des événements.
Depuis longtemps je suis fascinée par le cinéma de ces années là, pas seulement en Italie, en France aussi. Je connais par cœur À bout de souffle, Jules et Jim, et Gruppo di Famiglia in un interno, entre autres. De Fellini, je n’aime pas tout, loin de là. La Dolce Vita, c’est un goût qui m’est venu tardivement. J’ai trouvé que la structure était parfaite pour un roman.
L’Italie de la Dolce Vita, c’était Fellini, Bertolucci, Antonioni, nous avons eu deux Prix Nobel de Littérature, une littérature magnifique, un cinéma exceptionnel : il était alors possible de faire de l’Italie un point d’énergie culturel et économique. Pour moi, tout a explosé le jour de l’attentat de la Piazza Fontana, le 12 décembre 1969, quand une certaine partie de l’Etat s’est rendue complice du terrorisme.
Non, je crois que c’est structurel. Je crois que l’Italie, malgré et à cause de son passé, est un pays jeune, qui n’est pas encore réellement construit. Je crois que c’est comme à l’adolescence, quand on choisit qui on est.
L’Italie aujourd’hui se présente comme une dictature douce de la télévision, à travers la culture de l’endormissement collectif. Le problème n’est pas la censure, il est plus sournois : tout est fait pour arrêter la pensée, et faire en sorte qu’on devienne trop paresseux pour réfléchir plus loin que le bout de son écran de télévision. On diffuse des heures de programmes avec des filles à gros seins, des émissions de télé-réalité pour empêcher les gens de se poser des questions.
Depuis quelques jours, dans toute l’Europe on reparle de la violence faite aux femmes. La campagne de publicité insiste sur le fait que cette violence vient surtout des fiancés, des maris, des proches. J’ai eu un petit rire nerveux en la découvrant, je n’ai pas pu m’empêcher de penser, voilà ce que c’est de les laisser entrer aussi facilement dans notre intimité, si j’ose dire.
Parce que j’habite en France, j’aime cette langue et j’ai des éditeurs formidables qui me permettent de vivre de l’écriture. Je ne crois pas qu’en Italie ce serait le cas, j’ai des amis écrivains qui n’arrivent absolument pas à en faire leur premier métier.
J’aime le roman pur. Truman Capote a écrit Petit-déjeuner chez Tiffany et De sang froid sans que personne ne lui demande des comptes, alors qu’ils sont à l’opposé, aussi bien dans le procédé narratif que dans l’ambiance. Doris Lessing, le Carnet d’Or, mais aussi Les grand-mères. Philip Roth, Portnoy, mais aussi Pastorale Américaine. C’est très français, très italien aussi, d’ailleurs, de mettre une casquette sur la tête d’un auteur et d’attendre de lui qu’il se ressemble toujours. Vous savez, j’ai écrit beaucoup de choses avant de devenir romancière : j’ai été journaliste, j’ai fait des livres de cuisine, de jardinage. Si j’ai envie de me lancer dans une grande histoire romanesque qui se déroule au XIXe siècle, je le ferai. Tout dépend de quoi j’ai besoin en tant qu’auteure. Je me sens plus proche de la sensibilité américaine, libérée de l’image, avec des auteurs qui scannent la réalité à travers l’écriture.
La vie, je la prends à bras le corps. On peut tout perdre et tout gagner d’un jour à l’autre. Je veux aller le plus loin possible dans ce pour quoi je suis faite, et je suis faite pour l’écriture et la lecture : j’aimerais bien, par exemple, diriger une collection chez un éditeur. Ecrire est un rêve d’enfant, on rate toujours un peu sa vie quand on n’affronte pas ses rêves d’enfant.
Photo© Gianmarco Chieregato