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Interview de Sébastien Lapaque pour son roman La Convergence des alizés

Interview de Sébastien Lapaque pour son roman La Convergence des alizés

 

A l'occasion de son nouveau roman, La Convergence des alizés, Sébastien Lapaque s'est entretenu avec Vincent Hein.
Conversation entre écrivains voyageurs et cap sur le Brésil !
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Tu es critique au Figaro Littéraire, tu es l’auteur de nombreux essais, d’un guide très remarqué sur le vin. Avec La Convergence des alizés, les éditions Actes Sud publient ton quatrième roman.
Qu’est-ce que c’est pour toi un roman ?
Le fait d’alterner depuis quinze ans romans, essais, journal, nouvelles et pamphlets, me fait ressentir de façon singulière la nature du roman. La Convergence des alizés, dont le Brésil est à la fois la matière et le mobile, est en effet mon quatrième roman. Mais c’est aussi — et c’est surtout, ai-je envie de dire —, le troisième livre que je consacre au Brésil. En 2001, un premier périple dans l’état de Rio et sur les hauts plateaux du Minas Gerais dans les pas de Georges Bernanos, qui a passé sept ans en Amérique du Sud entre 1938 et 1945, m’a inspiré un texte d’histoire littéraire intitulé Sous le soleil de l’exil (Grasset, 2003). D’Amazonie, où je me suis beaucoup promené au cours des années 2002-2005, j’ai ensuite rapporté un carnet de choses vues intitulé Court voyage équinoxial (Sabine Wespieser, 2005). Il me semble que si ces deux premiers livres « brésiliens» ont été écrits avec mes souvenirs, La Convergence des alizés est un livre né de mes rêves. Avant de commencer à oser l’écrire, j’ai dû attendre le moment où je pouvais décrire une rue de Rio les yeux fermés. Un roman est ainsi une rémanence d’images réelles et rêvées. 
 
Qu’est-ce que c’est, pour toi, oser en écriture ?
Oser en écriture, c’est se jeter dans le vide : tant que la première ligne n’est pas écrite, la page reste blanche, partant désespérément vide. Oser en écriture, c’est s’enfoncer dans une forêt mystérieuse et pleine de risques. Mais ce n’est pas simplement une plongée dans l’angoisse, même si la discipline de l’écriture en produit. C’est un acte d’abandon de soi au profit de quelque chose de plus fort que soi. Il faut se laisser guider par ce fameux daimôn dont parle Socrate dans Le Banquet. C’est également un acte de confiance en l’art et en ses pouvoirs, un geste de dévotion envers la Beauté, toujours capable de sauver le monde, surtout un monde aussi laid que le nôtre, qu’il faudrait d’ailleurs appeler L’Immonde — ce sera le titre de mon prochain roman. À ce propos, je pense au «saut de la foi» évoqué par Kierkegaard dans Crainte et Tremblement. Oser écrire, c’est s’abandonner avec confiance à quelque chose qui dépasse la raison. C’est pourquoi l’imagination, cette folle du logis, doit être de la partie en jetant le trouble — et pas seulement dans les œuvres de fiction.
 
La convergence des alizés est un roman à tiroirs, un jeu de piste, mais aussi une galerie de personnages où se lit le Brésil d’aujourd’hui, chargé d’énergie, de mélancolie et de promesses… Que peux-tu dire de ce dernier livre ?
C’est un roman que j’ai commencé à écrire en 2003. J’ai mis neuf ans à en venir à bout. Grande mortalis aevi spatium, écrit Tacite en son Agricola (III, 2), «durée considérable dans la vie d’un mortel» (même s’il parle de quinze années). À l’origine, le roman mettait en scène un Français parti à la recherche d’une jeune femme disparue dans l’immense Brésil. L’intrigue reposait sur un jeu de piste amoureux, mais quelque chose l’empêchait d’avancer… J’ai mis du temps à comprendre ce qui bloquait : c’était ce regard éloigné, le fait que le personnage principal vienne d’Europe. Dès son arrivée au Brésil, il s’étonnait de tout et tout l’étonnait. Finalement, ce personnage était un peu mon double. Et le roman, tel qu’il s’élaborait, aurait pu s’intituler Le Brésil et moi. Or ce côté moi, moi, moi n’était pas du tout ce que je recherchais…
 
C’est même tout ce que je déteste dans le roman français contemporain. J’ai conservé le jeu de piste amoureux, mais j’ai oublié ce personnage venu de Paris à Rio pour ne plus mettre en scène que des personnages autochtones : Luiz et Octavio Cardero, Euclides Pigossi et son copain clarinettiste Wilson Machado, Zelda Martín, Sidney Pouce-Coupé, Paulo Leãozinho, Maria Mercedes, le sénateur Carvalho, Ricardo Accacio, Sérgio Martini, les sœurs Gabriela et Jarlene Moura… Dans La Convergence des alizés, Zé, le personnage principal, débarque d’Amazonie à Rio pour tenter de retrouver Helena, sa namorada partie sans laisser d’adresse. Avec Zé, tout s’est simplifié, déplié, mis en branle… J’avais enfin élucidé mon désir profond : donner vie à des personnages — riches et pauvres, noirs, métis et blancs, jeunes et moins jeunes —, tous en prise directe avec le Brésil. 
 
Tu te rends fréquemment au Brésil, tu lui as consacré plusieurs livres, tu parles portugais, tu écris dans un journal brésilien. D’où viens ton attirance pour ce pays ?
Je connais suffisamment de portugais pour m’orienter dans un aéroport ou une galerie marchande, j’arrive à lire O Globo ou O Estado de S Paulo — où je publie en effet quelques chroniques —, j’entends ce que dit Vinícius de Moraes lorsqu’il chante tristeza não tem fim felicidade sim… Mais je n’en revendique pas beaucoup plus… Le don des langues ne m’a hélas pas été donné. Depuis des années, j’ai le projet de traduire les Lágrimas de HeráclitoPlaidoyer en faveur des larmes d’Héraclite»), un sermon de parade prononcé par le père jésuite luso-brésilien Antônio Vieira à Rome en 1674, et je m’en révèle bien incapable. C’est peut-être ça qui me plait au Brésil : toutes les choses que j’ai encore à découvrir et à apprendre…
 
Plus sérieusement, je pense que ce qui peut lier un Français au Brésil — et un Brésilien à la France — procède d’affinités non seulement électives mais prédestinées. C’est une histoire très ancienne. À la fin de La Convergence des alizés, lorsque Helena Bohlmann et Zelda Martín vont rendre visite à Claude Lévi-Strauss dans son appartement de la rue des Marronniers à Paris, le maître leur rappelle que «des témoignages portugais attestent qu’en 1504, il y avait au moins cinq navires français au mouillage sur la côte brésilienne du côté de l'actuel Salvador de Bahia». Officiellement, pourtant, cela ne faisait que quatre ans que le Brésil avait été découvert… Après ces premiers aventuriers du XVIe siècle, il y a eu Villegaignon, La Ravardière et La Condamine, la Mission artistique de 1816, Paul Claudel, Blaise Cendrars, Georges Bernanos
 
Au Brésil, un Français n’est jamais à l’étranger. C’est notamment ce sentiment de familiarité que j’ai voulu rendre dans mon roman. Il existe certes des Français qui n’aiment pas le Brésil, un pays trop coloré, trop métissé et trop épicé pour eux. Mais à mon sens, il ne sont pas vraiment français… Ils sont, comment dire… Européens ?… Je pense par exemple à Renaud Camus, qui écrit des choses idiotes sur le Brésil dans le dernier volume de son journal. Pour lui, le Brésil est un pays sans culture. C’est que, lorsqu’il prononce le mot culture, il pense à un privilège réservé à des happy few, à un signe social accaparé et jalousement partagé… Entendu dans ce sens-là, la culture est ce qui distingue les hommes ; au Brésil, elle est ce qui les rassemble. Et ce qui me touche, dans ce pays, c’est le continuum entre la culture populaire et la culture érudite. En France, cela fait longtemps que nous avons perdu cela…
 
Je songe aux chansons et aux romans de Chico Buarque, qui apparaît lui aussi dans La Convergence des alizés et qui l’explique à un journaliste. Je pense également à l’architecture d’Oscar Niemeyer, à la poésie de Carlos Drummond de Andrade, aux jardins de Roberto Burle Marx, à la musique de Heitor Villa-Lobos, au cinéma de Walter Salles, à la peinture de Tarsila do Amaral… Les énergies de sens produites par ces différentes œuvres n’ont pas cristallisé sous cloche pour l’avantage de quelques-uns. Au contraire, elles ont circulé et continuent de circuler dans toutes les couches de la société brésilienne. Chacun en profite à sa façon, mais elles sont réellement nées pour tous et offertes à tous.
 
 
 

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