Fondateur de la maison qui porte son nom, exclusivement consacrée aux lettres d’Asie, Philippe Picquier est le grand passeur de la littérature japonaise en France. Eclairages.
Quand avez-vous fondé votre maison d’édition ?
En 1986. J’avais un tropisme asiatique fort ancien. Il y avait bien des publications de littérature asiatique en France, mais je les trouvais insuffisantes, et souvent réservées aux spécialistes. Je voulais créer un lectorat et diffuser une culture que je connaissais comme amateur. Il y avait un marché à ouvrir, des nouveaux traducteurs, et une demande de littérature étrangère. Pas mal de maisons ont fleuri à cette époque.
C’était un pari risqué ?
On pouvait se donner nos chances en étant pragmatiques. C’est un territoire immense. Notre devise est toujours : « L’Asie est suffisamment vaste pour qu’on ne s’occupe que d’elle. » J’avais l’idée de m’inscrire dans la durée. Il fallait former le lectorat. Chercher les écrivains qui peuvent intéresser. On a commencé par une anthologie, puis nous nous sommes diversifiés au fur et à mesure. Il s’agit d’accompagner la vague, le mouvement, d’être un peu devant.
Un quart de siècle plus tard, combien de titres figurent à votre catalogue ?
Plus de mille. Si elle est tournée vers l’Orient, c’est une maison généraliste : nous publions de la littérature générale, des romans historiques, policiers, des ouvrages d’art, de l’érotisme, du reportage, des essais, et une collection jeunesse. Il s’agit de culture générale sur l’Asie.
Quel est le pays le plus représenté ?
Le Japon. Viennent ensuite la Chine, la Corée, et l’Inde principalement.
La littérature japonaise se vend-elle bien en France ?
Nos livres se vendent entre 800 et 80 000 exemplaires. Ce sont plus des long-sellers que des best-sellers. Des ouvrages sortis il y a 25 ans se vendent toujours aujourd’hui. Nous avons ouvert une collection poche avec près de 400 titres. Elle a un effet démultiplicateur et permet de toucher des lecteurs différents.
Qu’est-ce qui caractérise la littérature japonaise ?
Il n’est pas facile de répondre. Elle est d’une surprenante richesse et d’une étonnante diversité. Chacun peut s’y retrouver. Prenons Hiromi Kawakami et Hideo Furukawa, parmi les nouveautés que nous publions. Ce sont des personnalités, des styles, des souffles différents. Les Années douces de Kawakami, est un roman simple, calme, mesuré, urbain. Chez Furukawa (Alors Belka, tu n’aboies plus), qui se réclame de Haruki Murakami, priment l’oralité, l’ironie. On retrouve tous les styles de discours.
Haruki Murakami est une star, qui fait peut-être un peu d’ombre aux autres à l’étranger…
C’est un précurseur. Depuis 15 ans, il s’est passé plein de choses en littérature japonaise et dans la connaissance que l'on en a. Cette littérature est porteuse de grands écrivains. Ils peuvent se mesurer à ceux de n’importe quel pays.
Pensez-vous que les catastrophes de Fukushima affecteront la littérature japonaise ?
Je ne suis pas devin, mais je suppose que oui. Nous venons de publier L’Archipel des séismes. Ecrits du Japon après le 11 mars 2011, dont les recettes sont reversées aux sinistrés. Certaines contributions sont poétiques, d’autres émotives, mémorialistes, méditatives. L’évènement a gravement endommagé la conscience des écrivains. Cela va probablement modifier beaucoup de choses dans leur regard, sur le monde et sur eux-mêmes.
www.editions-picquier.fr
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