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Interview de Patrick Chamoiseau : le bruissement des mondes

Interview de Patrick Chamoiseau : le bruissement des mondes

 

Prix Goncourt pour « Texaco » en 1992, auteur des sublimes « Chroniques des sept misères » (1986) et « Solibo magnifique » (1988) chez Gallimard, Patrick Chamoiseau mime avec virtuosité l’oralité, fait revivre les contes, les légendes et le pouls de son île, la Martinique. Rencontre
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Existe-t-il des caractéristiques propres à la littérature antillaise ?
En Martinique, Guadeloupe et Guyane, nous observons des structurations similaires, qui proviennent de la « diglossie » de ces terres : cette coexistence de deux langues aux hiérarchies différentes, cette hésitation entre le français, langue de la « culture dominante », de l’école, de l’autorité, de la noblesse… et le créole, langue émotive, celle de la mémoire collective, des contes, des proverbes. Dans cette oscillation permanente, l’écrivain construit son langage. Les Antillais relèvent aussi de cultures composites, nourries d’imaginaires en provenance des continents africains, européens, américains… En même temps, un auteur ne représente que lui-même, et n’appartient pas forcément à une structure communautaire, même si se créée, de fait, une solidarité entre artistes de la même terre. Seules comptent les structures d’inspirations, d’émotions, les expériences individuelles face au grand chant de l’univers, à la totalité de nos mondes… Au-delà de nos héritages et patrimoines communs (l’esclavage, les plantations, la diglossie, les cultures composites…), se développent donc des identités singulières, celles d’un Césaire, d’un Glissant, qui créent au final des parentés beaucoup plus larges. Mes frères littéraires n’appartiennent pas forcément à la même région, à la même langue que moi…
 
La « créolité » que vous avez théorisée en 1989 avec Raphaël Confiant et Jean Barnabé est-elle un concept toujours valable aujourd’hui dans la littérature et au-delà ?
Bien sûr ! Auparavant, l’écrivain était dominé par un absolu linguistique. Avec la seule langue française, Balzac pensait épuiser la totalité du réel… Joyce disait aussi : « Je suis allé au bout de l’anglais ». Il n’y a plus, aujourd’hui, d’absolus linguistiques ou territoriaux. Nous sommes traversés par la présence des autres, ces cultures qui interagissent, ces histoires et tous les bruissements du monde. L’arbre relationnel (le « choix » de parents, de frères de cœur…) a remplacé l’arbre généalogique, et la « métaspora » (le « choix » d’une patrie intime) s’est substituée à la « diaspora ». Dans un univers à la fois de plus en plus globalisé et individualisé, le monde explose en chacun de nous. 
 
Votre écriture et votre rapport à cette diglossie (créole/français) ont-ils évolué depuis vos débuts ? 
La problématique de ces deux langues qui nous déchiraient, je l’ai posée, et en partie résolue, dans « Solibo magnifique », mon roman le plus apparemment créole. Depuis, mon langage a bien sûr évolué, jusqu’à devenir assez différent dans « L’Empreinte à Crusoé ». Ma langue reflète un cheminement, une trajectoire, née d’un lieu qui ne m’a pour autant jamais enfermé… 
 
Sous votre plume, la tradition orale, les légendes et les contes ressuscitent, confrontés à ce grand chant du monde…
Le monde créole, c’est la matrice de notre imaginaire, la base culturelle, orale, intellectuelle, collective, sensible, véhiculée par les contes, les proverbes, les chansons, et toute notre mémoire collective. Qui se coupe de cet héritage se coupe de la moitié de lui-même. Il y a donc une exploration nécessaire de ce monde-là. Il faut donner la main au conteur et l’aider à revivre, pour que résonnent notre lien et nos secrets ? leurs beautés, leurs lumières, leurs ombres, leurs profondeurs ? dans cette grande symphonie du monde. 
 

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Commentaires (1)

  • Francoise Girard Rupaire le 27/08/2014 à 17h40

    Copie du site "d'île en île" biographie et bibliographie
    chamoiseau patrick
    Patrick Chamoiseau est né le 3 décembre 1953 à Fort-de-France (Martinique). Après des études de droit et d'économie sociale en France, il devient un travailleur social, d'abord dans l'Hexagone, puis en Martinique. Inspiré par l'ethnographie, il s'intéresse aux formes culturelles disparaissantes de son île natale (les djobeurs du marché de Fort-de-France, et les vieux conteurs) et il redécouvre le dynamisme de sa première langue, le créole, langue qu'il a dû abandonner au moment de ses études primaires.
    En 1986 il publie son premier roman, Chronique des sept misères, où il raconte l'expérience collective des djobeurs et étale son invention d'un nouveau style linguistique, un langage hybride accessible aux lecteurs de la Métropole qui contient néanmoins les valeurs socio-symboliques du créole, la provocation et la subversion. Par la suite apparaît son deuxième roman Solibo magnifique (1988), livre qui développe les thèmes de la recherche d'une identité martiniquaise par les pratiques culturelles du passé. Il est par son troisième roman pourtant que Chamoiseau éclate sur la scène internationale. Texaco (1992), grande épopée, raconte les souffrances de trois générations, d'abord sous l'esclavage, puis pendant la première migration vers l'Enville, enfin à l'époque actuelle. Texaco gagne le Prix Goncourt et établit Chamoiseau comme la vedette du mouvement créoliste.

    Pendant qu'il produisait ces trois romans, Chamoiseau travaillait aussi à d'autres projets. Avec Jean Bernabé et Raphaël Confiant, il publie en 1989 Éloge de la créolité, le manifeste de la créolité, et par la suite Lettres créoles avec Confiant, un essai sur la littérature antillaise de 1635 à 1975. De plus il écrit une autobiographie (Une enfance créole – 2 volumes), il édite une collection de contes créoles (Au temps de l'antan) et, en collaboration avec le photographe Rodolphe Hammadi, Guyane: Traces-Mémoires du bagne. l'oeuvre récente de Chamoiseau continue à se développer au carrefour de la théorie et la création artistique : un conte de l'époque esclavagiste L'esclave vieil homme et le molosse (1997), un texte à moitié théorique, à moitié autobiographique, Écrire en pays dominé (1997), et son quatrième roman, Biblique des derniers gestes (2002).

    – Roy Caldwell




    citation de:
    L'Écrivain francophone et les langues de Lise Gauvin (Paris: Karthala, 1997): 37.

    (La citation suivante de Patrick Chamoiseau met en question de la langue qui nous préoccupe à « île en île ».)

    Il me semble qu'actuellement les générations d'enfants contemporains ont relativisé la question de la langue et que la langue a pris des distances quant à la notion d'identité, c'est-à-dire que la langue ne sert plus à définir une culture, une identité. Pour ces générations, la francophonie ne ressemble pas à une communauté culturelle. On peut, sous une même langue, avoir des réalités culturelles et anthropologiques différentes. Je suis plus proche d'un Saint-Lucien anglophone ou d'un Cubain hispanophone que n'importe quel Africain francophone ou Québécois francophone. Vous voyez, les langues, aujourd'hui, ont perdu leur pouvoir de pénétration, de structuration profonde d'une identité, d'une culture, d'une conception du monde.


    Oeuvres principales:
    Romans:
    Chronique des sept misères. Paris: Gallimard, 1986.
    Solibo magnifique. Paris: Gallimard, 1988, 1991.
    Antan d'enfance. Paris: Hatier, 1990; Gallimard, 1993. Re-publié comme Une Enfance créole 1, Antan d'enfance avec une nouvelle préface, Gallimard, 1996.
    Texaco. Paris: Gallimard, 1992, 1994.
    Chemin d'école. Paris: Gallimard, 1994. Re-publié comme Une Enfance créole II, Chemin d'école. Gallimard, 1996.
    L'Esclave vieil homme et le molosse. Paris: Gallimard, 1997.
    Biblique des derniers gestes. Paris: Gallimard, 2002.
    À Bout d'enfance. Paris: Gallimard, 2005.
    Théâtre:
    Manman Dlo contre la fée Carabosse, théâtre-conte. (texte et illustrations) Paris: Editions Caribéennes, 1982.
    Littérature de jeunesse:
    Emerveilles. Illustrations de Maure. Paris: Gallimard jeunesse, 1998.
    Essais:
    Eloge de la créolité (avec Jean Bernabé et Raphaël Confiant). Paris: Gallimard, 1989, 1993.
    Lettres créoles. Tracées antillaises et continentales de la littérature: Haiti, Guadeloupe, Martinique, Guyane: 1635-1975. (avec Raphaël Confiant) Paris: Hatier, 1991.
    Martinique. (avec V. Renaudeau) Richer, 1994.
    Guyane: Traces-Mémoires du bagne. (avec des photographies de Rodolphe Hammadi) Paris: CNMHS (Caisse nationale des monuments historiques et des sites), 1994.
    Ecrire en pays dominé. Paris: Gallimard, 1997.
    Elmire des sept bonheurs: confidences d'un vieux travailleur de la distillerie Saint-Etienne (avec des photographies de Jean-Luc de Laguarigue). Paris: Gallimard, 1998.
    Nouvelles:
    "Le dernier coup de dent d'un voleur de banane" et "Que faire de la parole? Dans la tracée mystérieuse de l'oral à l'écrit". Écrire la « parole de nuit » ; la nouvelle littéraire antillaise. Paris: Gallimard (folio, essais), 1994: 29-38; 151-158.
    Collections:
    Au temps de l'antan : contes du pays Martinique. Paris: Hatier, 1988.
    Contributions:
    "Postface" à La baignoire de Josephine de Raphaël Confiant. Paris: Mille et une nuits, 1996.
    Prix et Distinctions littéraires:
    1992 Prix Goncourt, pour Texaco.
    1993 Prix Carbet de la Caraïbe, pour Antan d'enfance.
    2002 Prix Spécial du Jury RFO, pour Biblique des derniers gestes.

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