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Interview de Jean-Pierre Siméon

« Il faut dédramatiser l’accès à la poésie »

Interview de Jean-Pierre Siméon

Poète, dramaturge et directeur artistique du Printemps des poètes, Jean-Pierre Siméon nous parle de la création poétique contemporaine, et de son rôle dans la société.

 

 

 

 

 

Peut-on parler, à propos de la poésie, d’un genre littéraire tombé en désuétude ?
Résolument non ! Depuis l’aube des temps, elle impose sa présence perpétuelle. Art partagé, elle prouve sa vigueur dans tous les pays, et en particulier en France, n’en déplaise aux stéréotypes à la Bouvard et Pécuchet, qui annoncent sa mort. Aujourd’hui, existent une kyrielle d’excellents poètes, que ce soit, pour ne citer qu’eux, André Velter, Jacques Roubaud, Ludovic Janvier… Ainsi, à travers la multitude de ses publications (revues, sites internet, maisons d’édition…), la poésie française contemporaine témoigne d’une extraordinaire diversité formelle, d’un éventail d’inventions, d’une infinie variété… Dans ce champ, éclosent de grandes voix. Mais le monde est sourd, pris dans le brouhaha médiatique. Sa lecture ne requiert pas de diplômes, mais une attention, une lenteur, un recueillement, à rebours de la frénésie actuelle.

Le Printemps des poètes a montré l’affection du public pour la poésie. Pourtant, la manifestation souffre aujourd’hui de difficultés financières…
Seuls les « faiseurs d’opinion », qui n’en lisent pas, affirment que la poésie n’intéresse plus personne. Mais Le Printemps des poètes sert de révélateur ! Comme tant d’autres manifestations en France, il abat les idées reçues : chaque année, des centaines de milliers de personnes sortent pour écouter des poèmes, se laisser bercer par la voix de lecteurs, s’imprégner d’un rapport peut-être plus convivial, plus charnel, au texte. Pourtant, cette année, notre budget a subi une coupe de 40 % : l’Education nationale a retiré ses 60 000 euros de subvention. Ce qui, à terme, nous condamne à une disparition certaine. Il s’agit, de la part des pouvoirs publics, d’une méconnaissance dramatique de l’impact du Printemps, et de l’importance de la poésie dans la société.

A quoi sert justement la poésie ?
A l’heure actuelle, nous en avons besoin plus que jamais. La crise n’est pas seulement financière, elle est aussi morale… Or, la poésie nous sauve, elle nous rend à notre dignité humaine, la révèle. La lecture de poèmes permet une introspection, dans la résonnance du texte. Une plongée dans un haïku nécessite, par exemple, rêverie, temps et patience, avant de voir affleurer les harmonies dont il se nimbe. Il faudrait, chaque jour, pouvoir s’accorder ce suspens, cette parenthèse, ces quelques minutes à lire Char, Baudelaire, Eluard… Il faut dédramatiser l’accès à la poésie. Elle parle à notre humanité et réajuste notre diapason intérieur.

Que pensez-vous de l’apport du rap et du slam ?
Ce sont des cousins. La poésie possède mille avatars : on la chantait au Moyen Âge, on la criait au XIXe siècle. Elle n’est pas ceci OU cela, elle est ceci ET cela. Certains, comme Maïakovski, la hurlaient dans les usines ; d’autres, comme Paul Fort, déclamaient leurs vers dans les bistrots. Le rap et le slam ont apporté une rythmique à la langue française comme le jazz et le rock ont, en leur temps, influencé les poètes de la beat generation…

La poésie est-elle étroitement connectée à notre époque ?
A Sciences Po Paris, le thème de mon cours sur la poésie s’inspire de la citation de Novalis : « Plus il y a de poésie, plus il y a de réalité ». Il n’y a pas plus entiché de la réalité qu’un poète. Ils parlent de sujets concrets : la dureté du monde, la solitude, l’exil… Comme il y a mille façons d’appréhender le monde, il y a aussi mille façons d’approcher la poésie. Il faut redevenir libertaire pour apprécier ce traitement inattendu des mots qui suscite la « révolte de l’oreille », cette langue qui dissone et nous fait « ré-entendre » l’essentiel, caché sous la cacophonie du monde.

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