
Fidèle à son goût de l'absurde et de l'insolite, l'auteur et metteur en scène, directeur du théâtre du Rond-Point depuis 2002, détourne le sens des mots qu'il aime et en invente quelques autres dans un truculent petit « dictionnaire ». Rencontre.
Ce livre trottait-il dans votre tête, ou c'est Philippe Delerm, directeur de la collection « Le Goût des mots », qui vous en a donné l'idée ?
Je l'avais en tête sans le savoir... Avec Philippe Delerm, nous nous sommes croisés un soir aux Bouffes du Nord. Il m'a demandé si cela pouvait m'intéresser de me pencher sur des mots, en toute liberté. Je lui ai dit que j'allais y réfléchir, et le soir même, j'ai commencé à en rêver. Le lendemain, j'avais déjà commencé à écrire. C'est comme s'il m'avait libéré une poche, une petite réserve ignorée. Je n'avais pas à choisir mes mots : ce sont eux qui m'ont choisi.
Réaffirmer un certain amour de la langue, c'est une autre façon de définir ce que vous appelez la notion de sursaut, de sortir de l'enfermement, quand vous écrivez par exemple, « ne pas oublier que dans "mensonge" il y a "songe", alors que dans vérité il n'y a pas grand chose » ?
Ce n'est pas exactement un travail sur la langue, j'y réaffirme plutôt mon amour de la cocasserie, de la liberté de pensée. Réinventer des mots ou le sens de mots, c'est effectivement un exercice qui permet de s'évader de la pesanteur des raisonnements circonscrits. Comme le dit Nietzsche dans une citation que j'aime beaucoup, « l'art nous protège de la vérité qui tue »...
Cette facétie est-elle justement en train de disparaître ?
C'est vrai. La facétie se retrouve étouffée par les ricaneurs. Ce n'est plus de l'humour, sinon médiatique et « audimaté » : le rire pour le rire. On prend l'actualité, on la tripote, sans se préoccuper des profondeurs. Je trouve cela extrêmement destructeur, car il manque un espace de poésie, de finesse, de second degré. Voilà pourquoi j'avais déjà composé l'ouvrage « Rire de résistances », où je revenais aux grands écrivains du rire libérateurs, qui détournent la réalité définitive, de Rabelais à Queneau ou Oscar Wilde.
Après ce livre, rempli d'aphorismes, vous vous apprêtez à tourner le film « Brèves de comptoir ». On peut y voir une forme de continuité...
Un peu, mais ce n'est pas tout à fait la même chose. Dans les « Brèves de comptoir », ce sont les phrases des gens ; là, il s'agit de phrases inventées. Il y a d'un côté le génie des gens seuls et de l'autre le génie des gens qui vont dans les espaces où la précarité est grande et se battent contre la réalité d'une manière formidable... Ce qui n'en donne pas moins une matière très honorable. Nous allons tourner à partir de septembre avec Yolande Moreau, François Morel et André Dussollier.
Les mots que j'aime et quelques autres..., Jean Michel Ribes, éd. Points.