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Interview de Guillaume Klossa à propos d'Une jeunesse européenne

Un petit jeune qui fera son chemin

Interview de Guillaume Klossa à propos d'Une jeunesse européenne

Dans Une jeunesse européenne (Grasset), Guillaume Klossa raconte, à l’échelle d’un homme de 41 ans, les trente années parcourues sur le continent européen, qui l’ont conduit à créer le thinkTank EuropaNova. Aux confins de l’entreprise, du journalisme et de la politique, cet ancien conseiller de Jean-Pierre Jouyet et de Nicole Notat, ancien éditorialiste dans le journal Métro, est aujourd’hui l’un des dirigeants de McDonald’s France. Dans son livre, il dénonce la main-mise encore trop appuyée des baby-boomers sur les destinées de ce pays, et lance un appel indiscutable aux quadras, les enjoignant de prendre leur avenir en main, un avenir européen encourageant et riche de possibles. Entre récit intimiste, tissé de souvenirs d’enfance, et considérations sur la vie sociale et politique contemporaine, le livre de Guillaume Klossa est exemplaire en ce qu’il montre l’émergence d’un désir d’Europe. Entretien.

 

 

 

 

1 Alors, l’Europe ?
-On célèbre le centenaire de la boucherie de 14-18. L’Europe s’est construite sur une promesse de paix. Est-elle suffisante aujourd’hui pour fédérer les jeunes Européens ?
Non, la promesse de la paix qui reste pourtant un bien précaire ne suffit plus. Nous avons besoin d’un projet, d’une aventure, d’une inspiration nouvelle. Les jeunes générations sont conscientes du rôle déterminant de cette boucherie sur le cours de notre histoire sans mesurer cependant que cette guerre a été d’abord perçue comme une guerre civile, ce que décrit admirablement Zweig dans Le Monde d’hier. Alors que l’esprit européen, porté par ce qu’on appelait la république des lettres, était en train de triompher, des intérêts particuliers souvent industriels et politiques avaient un intérêt objectif au conflit et à une dynamique de renationalisation culturelle et politique. Des dynamiques comparables existent malheureusement de nos jours.

-Existe-t-il un esprit européen ? Peut-il émerger en France et au prix de quelle ambition pour l’Europe ?
Je crois que oui, mais la conscience de cet esprit passe par le récit, c’est l’intention d’ Une jeunesse européenne que de lui donner une nouvelle incarnation littéraire. L’ambition pour l’Europe doit être définie de manière collective et démocratique, elle ne tombera pas du ciel et ne sera imposée par personne. Il nous faut en revanche des récits européens qui nous aideront à nous projeter et nous penser ensemble.

-Les Français sont très attachés à leurs valeurs républicaines. L’Union européenne a-t-elle vocation à devenir une République, quitte à bousculer quelques monarchies séculaires ?
La grande réussite de l’Europe, c’est d’être un espace extrêmement avancé de droits et libertés fondé sur des valeurs très fortes, inspirées de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et actualisées dans la convention européenne des droits de l’Homme écrite au début des années 1950 et inspirée par René Cassin. Mais cette réalité européenne très forte n’a jamais été enseignée, on ne nous apprend de la construction européenne que la dimension marchande et le caractère franco-allemand, c’est très étrange car l’histoire de l’Europe depuis la fin de la 2ème guerre mondiale, c’est bien d’autres choses. Mais pour répondre à votre question, je crois comme mon amie Ulrike Guerot à l’avènement un jour d’une République européenne.

- La paix avec l’Allemagne a été un grand succès. Pourquoi les élites françaises ne peuvent-elles envisager de mettre un terme à la guerre froide avec la Russie avec une sorte de CECA « 2.0 » (Hollande refuse d’aller aux JO de Russie) ?
Il ne faut pas faire de la politique avec un rétroviseur. La guerre et la décomposition yougoslaves n’auraient pas eu lieu si chacun, France et Allemagne en tête, ne s’étaient pas souvenus que les Serbes pour les uns, les Croates pour les autres avaient été des alliés à une époque lointaine. Concernant la Russie, ce qui est certain, c’est qu’il est aujourd’hui tentant pour les Russes de s’éloigner de l’Europe et que ce n’est l’intérêt de personne. Il faut réaffirmer l’appartenance de la Russie à la culture, à la civilisation et aux valeurs de la modernité européenne, dignité, respect de la vie privée et de la diversité en tête.

-Quels sont vos auteurs européens préférés ?
Hugo pour le XIXe, Zweig, Yourcenar, Hergé pour le XXe, Saviano pour le XXIème, Borgès si vous considérez qu’il est européen de culture... mais plus que des auteurs, j’aime des œuvres et des engagements.

2 La démarche d’écriture d’Une jeunesse européenne
-Vous consacrez un chapitre au mouvement EuropaNova que vous avez créé en 2002. Quelle est la raison de cette création ?
Je raconte au début du livre le choc inouï qu’a été pour moi et pour beaucoup en France et en Europe le 21 avril 2002 qui a vu la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. J’ai alors l’intuition que nous entrons dans une période de crise et de déclin qui questionne à terme la démocratie et une première étape de la construction européenne fondée sur la paix et le marché qui arrive à son terme. EuropaNova germe alors dans mon esprit comme l’ambition de mobiliser une nouvelle génération qui refuse le déclinisme et le repli sur soi et qui croit qu’il est possible d’imaginer une nouvelle étape positive de l’histoire de notre continent fondée sur la solidarité et un intérêt général commun. A posteriori, la naissance d’EuropaNova emprunte à ce qu’on a appelé en Espagne la génération 1898 qui rassemblait de jeunes intellectuels et écrivains comme Miguel de Unamuno et Antonio Machado qui voulaient réinscrire leur pays dans une dynamique d’avenir et de progrès.

-En 10 ans d’existence d’EuropaNova, de quoi êtes-vous le plus fier ?
De notre combat pour créer un droit à la mobilité de tous les jeunes en Europe, un Erasmus pour tous. L’ambition est de renouer avec une tradition occidentale et européenne née avec L’Iliade et l’Odyssée, qu’on a appelé plus tard le grand tour et qui a longtemps été une affaire d’élites. Il s’agit de permettre à chacun (avant de et) pour devenir adulte de partir à la découverte et à la rencontre d’autres pays et d’autres cultures pour revenir avec un regard émancipé et différent nourri d’idées nouvelles pour la société. Je suis également fier du programme de jeunes talents européens qu’EuropaNova a initié en 2011 et qui vise à rassembler des gens émanant d’horizons divers pour tenter de réfléchir et d’apporter des solutions aux défis de notre continent. Il a vu passer dans ses rangs des personnalités aussi différentes que le mathématicien Cédric Villani, la romancière Sofi Oksanen, l’artiste plastique Jasmina Cibic ou l’écrivain poète Camille de Toledo. Ainsi que de la conférence Europa, une sorte de TED européen que nous avons lancé justement avec mon ami Cédric Villani et la philosophe Cynthia Fleury.

-Qu’est ce qui a guidé votre démarche d’écriture à travers ce livre ?
J’ai eu envie de raconter l’histoire de ma génération, née avec la crise des années 1970 dans ce qu’elle a non pas de particulier mais d’universel et de réinscrire cette jeunesse désormais trentenaire et quadra  et qu’on dit souvent sans repères dans l’histoire de notre continent. Indiscutablement Le Monde d’hier, le best seller du grand écrivain autrichien Stefan Zweig, qui à travers sa propre histoire raconte celle de sa génération et de son époque m’a inspiré. Mais j’ai aussi écrit ce livre pour mes enfants pour que dans vingt ou quarante ans, ils puissent se replonger dans le monde qui aura été celui de leurs parents.

-Manifeste ? Profession de foi ? Comment le qualifieriez-vous et que souhaitez-vous qu’on en retienne ?
Simplement un récit à la croisée du roman d’aventure et de l’essai. Un témoignage guidé par le désir de montrer combien certains événements que nous avons tous vécus comme la chute du mur, que certaines expériences que nous avons partagées sans même la conscience de ce partage ont contribué à définir une identité collective à l’échelle de ce continent. Mon souhait, c’est que tout lecteur à la fin du livre se dise « je ne suis pas seul en Europe ». J’ai découvert des personnalités extraordinaires et inspirantes. Je partage avec des centaines de millions de personnes un imaginaire, un patrimoine mais aussi un destin communs dont je n’avais même pas pris conscience. J’aimerais que chacun à la lecture de ce livre puisse réinscrire son histoire personnelle dans notre histoire collective, du moins celle de ceux qui ont vécu et vivent sur ce continent. Je vais vous dire un secret, l’écriture de ce livre qui s’est fait d’une seule traite sans notes et sans recherches a été pour moi aussi le révélateur de mon appartenance concrète et charnelle à la civilisation européenne.

-Pourquoi avez-vous créé un think tank plutôt qu’adhérer à un parti politique ? Le politique n’est-il plus le milieu naturel des idées ? Le combat politique se fait il désormais au détriment des idées ?
J’aime la liberté et l’esprit d’entreprise, de création. Ces valeurs trouvent plus naturellement leur place dans un think tank que dans un parti politique, par définition plus cloisonné. Au demeurant, nos membres ont des sensibilités reflétant la diversité politique de la gauche à la droite, en passant par le centre et les verts. Je crois au combat politique uniquement quand il est guidé par des idées, des valeurs et le désir de faire progresser concrètement la société, ce qui n’est pas toujours le cas.

3 Du côté des idées…
-Vous insistez beaucoup sur la difficulté à innover des corps politiques, administratifs, une sclérose qui frappe aussi les entreprises. Comment l’expliquez-vous ?
René Rémond (longtemps président de la fondation nationale des Sciences Politiques et historien) avec lequel j’ai eu la chance d’échanger fréquemment sur ce sujet à la fin de sa vie me disait que notre pays a besoin à cause de sa culture jacobine et centralisatrice de renouveler régulièrement, tous les trente quarante ans, ses élites. Lesquelles ont tendance autrement à confisquer le pouvoir à leur seul profit et à mettre en place des processus de reproduction. Et je partage son avis. La guerre de 1870, celle de 1914-1918 mais de 39-45 et mai 1958 ont permis ce renouvellement. Mais depuis, rien. Je raconte dans le livre comment mon ami Olivier Ferrand, désespéré par l’atonie intellectuelle du PS et ce qu’il considérait être la sclérose des grands corps, a créé Terra Nova pour recréer une dynamique d’idées à gauche.

-Où sont aujourd’hui les lieux de l’action et de la réforme ? Le monde politique est-il encore crédible aux yeux des Français, et « efficient » quand les populations pensent que les marchés dictent la politique économique à l’échelle de l’Europe ?
La crédibilité du politique est très différente selon les pays. Dans les pays scandinaves, en Allemagne, le niveau de confiance à l’égard du politique est très élevé. Il est très faible en France, en Italie ou en Grèce où incontestablement nos dirigeants ont échoué dans l’esprit de nos concitoyens. Echoué justement parce que l’amour de penser, d’imaginer et de mettre en mouvement l’avenir et le progrès a déserté trop souvent notre pays.

-Vous parlez d’un chaînon générationnel manquant. Pourquoi la génération des quadras n’arrive-t-elle pas à s’imposer en France et ne craignez-vous pas qu’elle soit vite supplantée par la génération Y qui débarque actuellement ?
Le sujet pour cette génération est de prendre le pouvoir comme l’avait fait dans les années 1970 la génération Giscard Chirac. Ils étaient à l’époque jeunes quadras et personne ne les attendait. Y arrivera-t-elle ? Nous le saurons assez vite…

-Comment votre vision de l’Europe a évolué après 1989 ?
Le gamin que j’étais en 1989, qui a été amené malgré lui à faire un discours sur la réunification du continent avait le sentiment de vivre au cœur de l’histoire. Aujourd’hui, trop nombreux sont ceux qui me disent que nous sommes sortis de l’histoire, que nous la subissons, ne l’écrivons plus. Je ne peux m’y résoudre. En 1989, le rêve européen, c’était de faire démocratiquement et pacifiquement l’unité de notre continent, quelque chose d’inouï au regard de l’histoire que nous avons presque achevé en 2004 sans mesurer le symbole considérable que cela représentait. Une fois cette étape achevée, il fallait redonner un sens au projet européen, en faire une aventure collective d’avenir. Faire les Etats-Unis d’Europe, comme nous y invitait Victor Hugo en 1849 ? Cela reste à mon sens d’actualité. Mais de quoi s’agit-il ? Une construction qui respecte nos identités nationales, tout en créant une identité collective tournée vers l’avenir et qui nous permette de gagner de nouveaux territoires de souveraineté et de démocratie là où jamais des Etats n’ont été souverains, comme la régulation de la finance ou le développement durable ? Pourquoi pas !


Propos recueillis par Karine Papillaud

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