
L’auteur d’origine haïtienne Dany Laferrière se trouvait à Port-au-Prince au moment du séisme du 12 janvier 2010. Dans Tout bouge autour de moi (Grasset), il porte un regard à la fois pudique, humble et réfléchi, à la fois comme écrivain et comme témoin de la tragédie. Il est invité, cette année, au Festival Etonnants voyageurs. Entretien.
- Il y a un an, le 12 janvier 2010, un tremblement de terre dévastait Haïti. Vous y étiez à quelle occasion ?
J’étais à Port-au-Prince pour la deuxième édition du festival Etonnants Voyageurs, une manifestation littéraire qui a traditionnellement lieu au printemps à Saint Malo, mais qui a inauguré une édition haïtienne il y a deux ans. J’étais invité aux côtés d’écrivains haïtiens, africains et européens. Haïti allait bien alors : le banditisme avait reculé, on voyait des filles discuter sans crainte dans les rues tard le soir. Le calme était réel, l’atmosphère excellente.
- Ecrire le carnet de bord de ce drame vécu était une nécessité d’écrivain ?
Ecrire m’a permis d’échapper au séisme. Comme j’ai toujours sur moi un carnet et un crayon, j’ai commencé à écrire un quart d’heure après les premières secousses.
- Une façon de se détacher de la réalité ?
Ce n’est pas une distance mais une courtoisie. Un lyrisme échevelé, une émotion personnelle qui aurait pris le dessus n’aurait rien donné de bon. C’est au lecteur de voir, d’être ému. Je devais disparaître avec mes émotions.
- Votre jeune neveu vous demande, vous le relatez dans le livre, de ne pas écrire sur cette catastrophe car c’est à lui et à sa génération de le faire. Qu’avez-vous pensé de cette parole singulière ?
Les jeunes gens sont impertinents. Dans un sens, il a raison : ce séisme est peut-être le point culminant d’une série de turbulences sociales et politiques de plusieurs années qui « appartiennent » à ceux qui n’ont pas quitté l’île, et à ceux qui n’ont pas connu Duvallier. Mais il a tort aussi, car la littérature est un espace de liberté et tout le monde peut écrire sur cette catastrophe, même le téléspectateur allemand ou islandais qui l’a découverte à travers des reportages et qui s’en est trouvé bouleversé.
- Vous êtes retourné en Haïti depuis le séisme ?
Oui, deux fois. J’ai participé en mai dernier à un grand festival littéraire. Ca c’est Haïti : le pays est brisé mais un festival littéraire rassemble plus de 30 000 lecteurs ! La culture, la création sont considérées comme un luxe en Europe, mais c’est une chose naturelle et propre à tous là-bas.
- Les Français auraient été très généreux avec Haïti en donnant beaucoup après la catastrophe. Est-ce en raison d’un lien historique particulier qui perdure entre les deux pays ?
Quand vous parlez des Français, je pense que vous évoquez les initiatives individuelles et les dons aux ONG ? Parce que les promesses des Etats, France comprise, n’ont pas été tenues. Les Etats font des promesses qui rassurent leur opinion publique, puis ils comptent sur les lenteurs administratives pour que la mémoire de leur peuple, qui excède rarement quelques mois, passe à autre chose. L’aide d’état est la plus grande arnaque du monde. C’est une chose banale que les journalistes ne savent pas ou ne relaient pas. Il est si simple de dire que le coupable à tout cela est la corruption qui ronge le pays en détresse…
- Comment expliquez-vous la place particulière qu’occupe Haïti dans les médias français ?
Haïti occupe une place particulière dans le cœur du monde. Quand Baby Doc a quitté le pouvoir, la nouvelle a fait le tour du monde. Les Etats-Unis ont dépensé des sommes folles en propagande pour donner cette ampleur à la mort de Kennedy. L’importance d’Haïti est moins dans les manuels d’histoire que dans l’inconscient collectif. Peut-être parce que les révoltes des esclaves ont pris une dimension universelle dans les consciences humaines.
- Dans Tout bouge autour de moi (Grasset), vous dites qu’«il n’y a pas de frontières désormais pour se sentir haïtien»…
Haïtien une fois, Haïtien toujours ! La culture haïtienne ne se borne pas au territoire des quelque 27 000 km2 de l’île. La diaspora est forte et les nouvelles technologies facilitent les échanges. Mais il ne suffit pas d’être né haïtien pour faire du bien à Haïti. Il y a tellement d’Haïtiens de cœur, nés et vivant partout, qui s’impliquent de plus en plus, qu’on devrait aussi considérer ces amoureux comme des Haïtiens.
- Etes-vous optimiste sur l’avenir d’Haïti ?
Je ne réponds jamais à cette question. Il n’y a que les gens sur place, qui font face tous les jours à la pénurie, qui ont le droit de l’être ou pas. Mais comme je sais qu’ils ne désespèrent jamais de changer les cris en chants, je ne peux être qu’optimiste. L’aventure haïtienne continue.
Propos recueillis par Karine Papillaud
Photo : Laferrière©Beauregard