L'adolescence, à la lisière de l'âge adulte, séduit très au-delà de la puberté. Aujourd'hui, nombreux sont les adultes qui s'approprient cette littérature tonique, souvent originale et libérée de certains codes. Céline Vial, responsable éditoriale de la littérature Jeunesse Flammarion pour les plus de 10 ans, explique.
Les études démontrent que les adolescents lisent de moins en moins, pourtant l'offre de littérature pour "ado" n'a jamais été aussi vaste. Comment expliquez-vous cela ?
Il me semble que la production est riche et variée depuis longtemps. Ce qui a changé c’est le public qui s’intéresse à la Littérature jeunesse. Les grands succès récents prouvent que le lectorat ado s’est étendu au lectorat adulte. De nouveaux lecteurs ont trouvé dans les thématiques fantastiques une offre qui leur convient mieux. Ces succès ont aussi donné des idées à des éditeurs, qui ont développé des catalogues jeunesse.
Comment segmentez-vous la littérature pour adolescent ?
Nous essayons de segmenter nos publications le moins possible. Cependant, certaines thématiques, certains sujets, sont segmentant par essence. À cet âge, il y a encore des différences de goûts, d’approches et des sensibilités propres face à des sujets abordés.
Concernant l’âge de lecture, c’est toujours une vaste question. Il nous semble que le recul nécessaire face au sujet, ou la difficulté de la langue destinent le roman à tel âge. Dans les faits, nous sommes parfois surpris de l’âge de nos lecteurs.
Le livre n'est plus le principal vecteur culturel des adolescents, comment les éditeurs "repensent-ils" le livre pour redonner aux ados le goût des pages à tourner ?
Le roman reste par essence des lignes noires sur des pages blanches. Mais c’est vrai que la forme du livre peut être facilement enrichie en jeunesse. Je pense à la série Lady Grace que nous avons conçue il y a plusieurs années déjà comme un carnet ancien. La grande course de l’espace, livre totalement fou d’un auteur anglais génial, Joshua Mowll, qui au-delà de l’histoire a conçu un vrai projet graphique avec des photos, des dessins, des plans… Pour Black rain, thriller d’anticipation conçu sur le modèle d’une série TV (chaque tome regroupe 2 épisodes d’une saison), nous avons travaillé avec l’auteur Chris Debien autour de l’idée de génériques d’épisode. Chris avait envie de les voir, comme un story board. Pascal Quidault les a donc mis en images, sous forme de BD-manga, imprimée sur fond noir. Le livre commence comme un film…
Comment développez-vous et positionnez-vous votre offre éditoriale numérique ?
Bien sûr nous réfléchissons tous à une offre numérique, au changement de comportement des générations face aux biens culturels.
Certains ouvrages jeunesses de notre catalogue sont disponibles en édition numérique via la plate-forme EDEN.
Dans le même temps, le livre reste encore très matériel aujourd’hui pour les jeunes lecteurs. La réflexion sur la forme que peut prendre le livre, son enrichissement, ne doit s’inscrire que si le projet s’y prête, est conçu dans cette perspective.
Les éditeurs de Littérature Jeunesse font un gros travail pour toucher les adolescents via leurs modes de communication et d’échange.
Les blogs, les sites communautaires sont de nouveaux prescripteurs.
La communication est aussi devenue très inventive, interactive. Nous développons les bandes annonces (Black rain, Nom de code : Komiko) les concours d’écriture, de critiques…
Comment décidez-vous de publier un nouvel auteur "jeunesse" ?
En le lisant, c’est le seul examen de passage ! On aime ce qu’il écrit, parce que le texte nous touche en tant que personne, mais aussi parce qu’on pense que cela devrait être lu par les adolescents, qu’on a envie de le partager.
Quelle est votre vision de la littérature pour ado dans les prochaines années ?
Je l’espère toujours aussi riche et libre. Les auteurs contemporains s’affranchissent facilement des modes, ils écrivent souvent des textes modernes et intemporels, car ils parlent plus de l’adolescence et peu d’eux-mêmes.
Comment expliquez-vous le succès de certains titres ?
Le succès est souvent une question de bons facteurs réunis au bon moment : talent d’un auteur, titre qui fait mouche, couverture particulièrement attractive.
Heureusement, l’accueil réservé à un livre est toujours une surprise, imprévisible !
Propos recueillis par Agathe Bozon
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