Alors que les études annoncent la désaffection de la lecture par les adolescents, l'offre en livres jeunesse n'a jamais été aussi vaste, avec plus de 8000 nouveaux titres chaque année. Paradoxe ? Décryptage avec Brigitte Ventrillon, éditrice chez Casterman.
Comment expliquez-vous l'explosion de la littérature ado ?
Même si certains lisent moins, les titres jeunesse se vendent bien. Le passage au grand format, notamment avec Harry Potter et les romans de Philip Pulmann a créé un espace adolescent qui n'existait pas avant, même si dans toutes les bibliothèques, quelques titres étaient plus spécifiquement dédiés à cette tranche d'âge. Ce secteur est devenu vivant et les jeunes lecteurs ont découvert des titres riches, avec une écriture nouvelle et moderne. Les auteurs anglais et américains ont ouvert la voie, suivis de près par des auteurs français.
La littérature pour adolescents est-elle segmentée entre lecteur et lectrice ?
On observe une plus grande appétence des filles par rapport aux garçons, mais en ce qui concerne les grands lecteurs, il y a parité. Chez Casterman, nous ne segmentons pas l'offre et nous recherchons des livres mixtes. Soulignons que culturellement les filles entreront facilement dans une histoire dont le héros est un garçon, alors que le contraire n'est pas forcément vrai.
La série d'espionnage Cherub de Robert Muchamore, vendue en France à 1,4 millions d'exemplaires, a séduit des garçons récalcitrants à la lecture de 12 à 20 ans. La recette du succès ? Le réalisme d'une histoire, servie par une écriture efficace et traduite en français par un excellent traducteur.
Comment, en tant qu'éditrice, décidez-vous de publier un nouvel auteur jeunesse ?
Bien sûr nous allons à la pêche aux auteurs jeunesse dans les salons spécialisés, mais nous recevons également des manuscrits, par courrier ou par Internet. Le choix se fait par coup de cœur, avec toujours comme critère la qualité d'écriture. Parfois, nous faisons de jolies découvertes, ce fut le cas avec Le Carnet Rouge d'Anne-Lise Heurtier, une auteure dont nous publierons en avril 2013 un nouveau et excellent roman pour adolescents. Notre travail d'éditeur consiste aussi à accompagner un auteur, comme nous l'avons fait avec Sophie Dieuaide (lire l'interview) pour Pensées de Manon D. sur moi-même et sur quelques autres sujets.
Pour moi, le style est essentiel, même si l'histoire est primordiale. Je dirais que je cherche de bons scénarios racontés dans une belle langue. Pour revenir à Cherub, quand j'ai lu le premier tome, j'ai été totalement bluffée, et chaque volume suivant m'a surprise, parce que l'auteur ne prend pas les enfants-lecteurs pour des idiots. Il soulève des questions sociétale sans jamais faire la morale, mais en suscitant la réflexion.
Qu'en est-il du livre numérique et des adolescents ?
Les adolescents sont davantage sur les téléphones que sur les tablettes ou les liseuses. Les appareils sont encore un peu chers et pas véritablement entrés dans les mœurs chez les adolescents. Casterman sort Manon D en version numérique à titre expérimental. Je pense que les supports vont encore évoluer, et l'offre suivra.
Propos recueillis par Agathe Bozon
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