
Il a pris sa retraite en octobre dernier après avoir servi pas moins de six présidents de la République, de Valéry Giscard d’Estaing à François Hollande, plus ou moins fins gourmets. Soit quarante ans de services dans les brigades de l’Élysée, dont une dizaine comme chef principal, résumés dans des mémoires passionnantes : dans « Au service du Palais », paru aux éditions du Moment, Bernard Vaussion raconte ses anecdotes sur les coulisses du pouvoir, vues depuis les fourneaux. Aussi savoureux que les diners de chefs d’État.
Vous écrivez : « Un cuisinier du pouvoir doit s’efforcer de ne point trop en dire sur les préférences du Président ». Pourtant, vous livrez bien vos mémoires !
C’est un mot d’ordre que nous avons pris avec plusieurs collègues étrangers qui officiaient dans les cuisines présidentielles : rester discret sur les préférences des présidents et premiers ministres. Principalement pour leur éviter des soucis. Dès qu'on donne une indication précise, comme par exemple la fameuse « tête de veau » adorée par Jacques Chirac, les présidents s’en voient servir dans tous les déplacements ! À l’inverse, George Bush Senior avait déclaré son dégoût pour le brocolis, ce qui avait sacrément énervé les producteurs de ce légume : ils en avaient déversé des camions entiers devant la Maison Blanche. Bref, ce genre de déclaration peut avoir des incidences sur les comportements des producteurs. Il faut donc savoir rester discret. Maintenant, ce que je raconte dans mes mémoires est prescrit...
Globalement, quelle était votre marge de liberté, dans la conception des menus présidentiels ?
Étonnamment, assez grande ! À partir du moment où l’intitulé des menus avait été validé par le Président (ou sa femme, comme c’était le cas avec Bernadette Chirac – directive, mais juste), je pouvais l’interpréter à ma manière, en essayant toujours de me mettre au goût du jour, en suivant les livres de cuisine ou en me rendant chez des collègues étoilés. C’est surtout une relation de confiance mutuelle. Il y a parfois eu des demandes particulières, comme Valérie Trierweiler, soucieuse de la ligne de François Hollande, qui nous a demandé d’alléger les sauces et de ne pas avoir la main lourde sur le sucre. Mais c’était normal : à l’Élysée, il faut célébrer la cuisine française et elle est forcément un peu riche ! Ce qu’on peut noter et je m’en rends compte avec le recul : aucun des présidents que j’ai servi n’était réellement capricieux. Ils pouvaient avoir leurs humeurs, mais ils restaient toujours raisonnables, dans leurs demandes et leurs horaires. Beaucoup moins que des clients de tables étoilées !
Les grandes réceptions de chefs d’État donnent parfois lieu à quelques surprises...
Tout à fait, je me souviens notamment d’une réception à l’hôtel Marigny pour un président africain. Je prends mon service à 17h, et je vois dans les cuisines un attroupement de femmes qui commencent à éplucher les légumes. Mais il y avait quelque chose d’étrange : elles étaient toutes richement habillées, en costumes Chanel ou autres. Intrigué, je leur demande ce qu’elles font dans la vie, et elles me répondent très simplement : « Je suis ministre de la Santé dans mon pays, et en face, elle est ministre du Commerce extérieur ! ». Vérifications faites, elles étaient bien ministres, mais avaient reçu l’instruction de mettre la main à la pâte pour le dîner !
Timothée Barrière