
Rencontré au moment de la parution d’Enquête sur la disparition d’Emilie Brunet, Antoine Bello commence par divulguer les enjeux de son nouveau roman avant d’évoquer ensuite son sujet préféré : la littérature et sa grammaire.
J’avais publié un recueil de nouvelles deux ans plus tôt, Les Funambules. Mais j’ai commencé à écrire à l’âge de six ans. J’ai écrit de tout pendant ma jeunesse. Plus tard, le premier roman « sérieux », c’est à dire que je n’avais pas honte de montrer, m’a été refusé par tous les éditeurs car trop inspiré de Vian. Mais les éditions Gallimard m’ont encouragé à continuer de leur envoyer ce que je faisais. Et c’est comme ça que tout a commencé.
Il y a des parallèles, en effet. Eloge est aussi un livre très construit dont l’intrigue se déroule dans le milieu des compétitions de puzzles, mais c’est une mécanique sans chair. Défauts de jeunesse sans doute ! Vargas Llosa m’avait dit à l’époque que ce roman était « trop cérébral » pour avoir un Prix, raison pour laquelle c’est Michel Houellebecq avec ses Particules élémentaires qui a finalement décroché le Prix Novembre (aujourd’hui Prix Décembre) en 1998. Il me semble qu’Enquête sur la disparition d’Emilie Brunet est plus complet, mieux fini.
Mon point de départ était une question : comment savoir ce qui se passe dans la tête de sa compagne, de son voisin, de l’homme qui passe dans la rue ? Malgré tous les progrès de la technologie, on ne le saura jamais. C’est le fondement et le garant de la liberté humaine, mais aussi la cause de l’inconsolable solitude de l’homme. Ensuite, il était tout simplement évident pour moi que le détective du livre devait être un spécialiste d’Agatha Christie. Pour ce livre, j’ai lu beaucoup de livres sur le cerveau et de théories sur le roman policier et ses codes.
Le pacte du roman policier est qu’il y a deux équipes : celle de l’enquêteur et du lecteur, celle de l’assassin et de l’auteur. Etre à la fois auteur et lecteur d'un roman policier dont il est en plus le héros se révèle à l'usage une source d'angoisse terrible pour mon détective, Achille Dunot. Au début du roman il est frappé d’amnésie antérograde, c’est à dire qu’il est incapable mardi de se souvenir de ce qui s’est passé lundi. Il est donc obligé de retranscrire l’enquête du jour chaque soir, et la relire le matin suivant. Je tenais là le levier de l’histoire et j’ai ainsi commencé à l’écrire.
Parce qu’il ne s’agit pas vraiment d’un policier. Pour moi, il s’agit d’un roman sur la théorie littéraire et il me paraissait évident qu’il devait être publié dans la blanche de Gallimard, c’est à dire dans la collection de littérature générale. C’est un livre borgésien, circulaire, qui peut se relire indéfiniment. Par chance, mon éditeur a vu les choses de cette façon aussi.
Je n’avais pas relu les romans d’Agatha Christie depuis une vingtaine d’années, mais j’ai pris beaucoup de plaisir à les reprendre. On découvre progressivement l'importance de sa contribution à la littérature (et pas seulement policière).
Essentiellement avec Edgar Poe, à qui l'on doit les premières nouvelles policières. Achille Dunot par exemple tire son nom de famille de la rue dans laquelle habite Dupin, le détective de Poe. Mon livre contient surtout d'innombrables allusions au plus grand texte de Poe, La lettre volée, dont j'ai repris un paragraphe entier et plusieurs citations.
L’entrepreneur que j’étais n’est plus aux manettes ! J’ai vendu en 2007 la majorité des parts d’Ubiqus, une société que j’ai créée en deuxième année d’HEC qui propose des comptes-rendus de réunion aux entreprises. Aujourd’hui je fais seulement partie du conseil de surveillance, ce qui me laisse du temps pour écrire. Mais ça ne m’a jamais gêné de mener les deux activités en parallèle. Je n’ai jamais considéré qu’elles étaient incompatibles.
Je suis un solitaire ! Il est important pour moi de me tenir loin de tout ce qui pourrait me détourner de l’essentiel, c’est-à-dire de l’écriture.