
On les appelle nègres littéraires, ghost-writers, documentalistes ou accoucheurs.
Ils sont les plumes anonymes au service des ouvrages des autres. Comment ça marche ?
Alexandre Dumas avait ses ateliers, où il mettait en concurrence ses nombreux collaborateurs. Plus récemment, Paul-Loup Sulitzer, roi du best-seller dans les années 1980, faisait écrire ses livres par Loup Durand. Ce qui lui a valu quelques déconvenues quand le pot aux roses a été découvert. C’est un secret de polichinelle dans l’édition : tous les auteurs n’écrivent pas leurs bouquins. Il paraît même que certains ne les lisent pas. On estime qu’un tiers des livres parus en France seraient co-écrits.
Alors, qui sont les plumes de l’ombre ?
Ils s’appellent François Forestier, Catherine Siguret ou Bernard Fillaire, pour n’en citer que quelques-uns. Ils écrivent des dizaines de livres, sur lesquels leur nom, le plus souvent, n’apparaît pas.
Les qualités des nègres littéraires ?
Discrétion, efficacité et un ego pas trop développé. Ils sont rémunérés au forfait ou au pourcentage (entre 10 et 15 %, partagés avec les signataires des livres).
En majorité, il s’agit de documents ou de témoignages. Une personne a une histoire forte à raconter mais ne sait pas écrire. C’est le cas de la plupart des célébrités, sportifs, politiques ou artistes. Le travail du nègre littéraire est de mettre en forme une pensée, de donner vie à une voix. L’activité peut s’avérer nourrissante pour les ghost-writers. "J’ai eu 40 vies", explique Catherine Siguret dans le documentaire Nègres, l’écriture en douce. Par exemple, elle a connu les déplacements en hélicoptère et la vie de palace en accompagnant des stars dans l’écriture de leur bio.
Les pratiques évoluent et les livres de témoignages sont de plus en plus souvent cosignés, ou écrits avec la collaboration de. La réalisatrice Catherine Breillat a par exemple conçu son ouvrage Abus de faiblesse avec Jean-François Kervéan, journaliste et romancier.
Pourquoi pas ?
Le problème, c’est le mensonge marketing, qui floue le lecteur. Une romancière, qui connaît aujourd’hui un beau succès, raconte son expérience de nègre il y a quelques années : "J’avais écrit le livre d’un humoriste célèbre. Il n’avait rien fait. Et il expliquait dans les médias qu’il avait souffert durant l’écriture, passant de longues nuits dans la solitude de la création. J’étais estomaquée".
Quand Thierry Ardisson (pour son roman Pondichéry) ou PPDA (pour sa biographie d’Hemingway) sont mis en cause pour plagiat, on suppose que leurs collaborateurs sont en cause. Mais les accusés ne peuvent pas tenir cette ligne de défense : ce serait avouer une double faute. Alors ils s’empêtrent dans des explications fumeuses, voire carrément grotesques (PPDA prétendant qu’une version de travail de son texte a été envoyée par mégarde).
Plus hilarant (ou tragique, au choix) : les vrais romanciers, établis et reconnus, qui n’écrivent pas leurs livres. Les langues ne se délient pas facilement dans ces cas-là, car les ghost-writers sont tenus au secret par contrat. Il se murmure toutefois que des académiciens se font parfois aider pour boucler leurs chefs-d’œuvre. Si même les garants de l’intégrité de la langue française s’y metten
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