
La petite fierté de Lewis Trondheim et Joann Sfar ? Avoir atteint les 36 tomes pour leur série commune, « Donjon », soit un de plus qu’Astérix. Mais si le Gaulois moustachu a survécu à la disparition de René Goscinny et à la mise en retrait d’Albert Uderzo, les personnages d’heroic fantasy animalière des deux piliers de la bande dessinée indépendante française viennent de livrer leur dernière bataille.
Après cinq ans de pause, dûs aux engagements cinématographiques de Joann Sfar, les deux auteurs concluent leur saga parodique avec « Haut Septentrion » et « La Fin du Donjon ». Deux albums parus simultanément et à lire de concert, le premier résolvant les ellipses narratives du second (et inversement) jusqu’au climax final, où l’on saura ce qu’il advient de « L’Entité noire », sorte de mal absolu ayant pris l’ascendant sur le monde à la mythologie cohérente décrit par Sfar et Trondheim et la destruction du Donjon proprement dite, point de départ et référent minimal de tous les personnages de la saga.
Une conclusion étonnamment sérieuse, apocalyptique, soulignée par les rondeurs du dessinateur Mazan et les traits plus acérés d’Alfred (prix du meilleur album au festival d’Angoulême cette année pour « Come prima »), pour une série qui a toujours su détourner les codes de l’heroic fantasy.
Au départ, lors de la parution de « Coeur de canard » en 1998, les deux auteurs suivaient surtout le parti d’une blague potache. Pour parodier la froide austérité des « Donjons et Dragons », Trondheim et Sfar y introduisaient quelques anti-héros (Herbet le canard couard et Marvin le dragon, à peine plus malin qu’Obélix) et, surtout, inversaient la perspective classique : les personnages principaux se retrouvent être des « employés » du donjon, occupés à gérer les « aventuriers » venant s’empaler sur les pièges.
Un principe minimaliste développé ensuite dans toutes les directions, offrant une grande liberté aux dessinateurs invités (et pas des moindres : Killoffer, Larcenet, Christophe Blain ou Blutch, comme un palmarès du festival d’Angoulême), l’unité étant assurée par la drôle de langue familière et bourrée d’humour inventée par l’esprit tordu du tandem. Autant d’inventions que l’on retrouve moins dans ces deux derniers tomes concluant l’arc narratif principal du donjon, comme si les deux auteurs s’étaient fait rattraper par leur propre néo-classicisme… ou avaient été pressés d’en finir, pour solder leurs comptes avec cette histoire. Ce n’est peut-être pas un hasard si l’esprit « Donjon » semble animer avec bien plus de force... la nouvelle série de Lewis Trondheim, « Ralph Azham ».
- « Haut Septentrion », de Joann Sfar, Lewis Trondheim, Alfred, éd. Delcourt.
- « La Fin du Donjon », Joann Sfar, Lewis Trondheim, Mazan, éd. Delcourt.