
A quatre jours du salon du livre 2014, le SNE, Ipsos et le CNL ont publié les résultats d’une réjouissante enquête sur la lecture : La France lit et aime ça. On ne l’ignorait pas mais à entendre éditeurs et libraires évoquer leurs chiffres d’un voix toujours plus sombre, on commençait à en douter. Le sondage est net de toutes critiques : les entretiens ont eu lieu en février, non pas au téléphone, mais de visu avec les 1013 personnes d’un panel composé de + 15 ans. 7 Français sur 10 ont ainsi déclaré avoir lu au moins un livre depuis les 12 derniers mois, que ce soit sur papier, pour 69% des cas ou en version numérique pour 11%, qui sont surtout des hommes. Et si 45% des lecteurs lisent tous les jours ou presque, 76 % de la population lit pour le plaisir.
Mazette !
Autre idée reçue battue en brèche : les jeunes entre 15 et 24 ans lisent plus que le reste de la population, même s’ils lisent moins assidûment que leurs aînés. Et ils sont 28% à lire en numérique.
L’originalité de cette étude est de pointer qu’un petit tiers des Français ne lisent pas parce qu’ils admettent ne pas aimer lire. Mais ils participent aux 76% de la population qui pensent qu’il est important de lire des livres aux enfants. Et lecteurs comme non lecteurs s’accordent pour donner à 40 % leur confiance aux livres, quand ils ne sont que 3% à faire confiance à la presse hebdomadaire d’information. Ca laisse songeur. Le livre reste un référent tangible, loin devant internet qui ne convainc que 7% de la population.
Les lecteurs sont bien là, campés sur leurs habitudes de gourmands de livres. Un sur deux avoue même regretter de ne pas pouvoir lire plus. Le vrai défi du livre ? les séduire encore plus pour tailler des croupières aux réseaux sociaux et aux emplois du temps surchargés. Une sacrée partie est engagée.
Entretien avec Vincent Monadé, président du CNL
- Les résultats de l’étude Ipsos-SNE-CNL sont plutôt très positifs. Vous attendiez-vous à ces résultats ?
J’étais raisonnablement optimiste. Globalement, le marché du livre résiste mieux à la crise que d’autres secteurs économiques. Je pensais qu’une étude le confirmerait et c’est le cas. L’enquête révèle notamment que 8 jeunes sur 10 lisent, et 84 % de la population n’imagine pas un monde sans livre. L’attachement au livre des Français est avéré et intact. « Reading is sexy »…
- Comment expliquez-vous toutefois la baisse d’intérêt des 15-24 ans pour la lecture ? Faut-il s’en inquiéter ?
Non ! Cela correspond à un moment de la vie, on lit moins à partir de l’adolescence. C’est le moment où se construisent les liens avec les autres, la sociabilité est maîtresse, et on s’accorde moins de temps pour la lecture. Malgré tout, ils sont 23 % à lire de la poésie même si on peut penser que ce chiffre intègre le programme scolaire. Et 76 % des Français défendent la transmission de la lecture aux enfants. Il y a bien sûr des projets à mettre en place autour de la jeunesse. La création des Petits champions de la lecture, certaines expérimentations en ligne comme le « labo des histoires » y contribuent et rendent les jeunes actifs dans la lecture. Mais les jeunes lisent, même si ce n’est pas toujours ce que leurs parents souhaiteraient. Le succès des séries comme Hunger games ou Twilight montre que les ados sont auto-prescripteurs. La France est aussi le deuxième pays de vente du manga dans le monde. On n’a jamais autant lu que depuis la massification de l’Education Nationale, car il n’y a jamais eu en France autant de gens sachant lire.
- Le vrai défi, ce sont les 30% de Français qui ne lisent pas du tout. Comment les convaincre s’ils ne sont pas intéressés ?
La moitié d’entre eux déclarent ne pas aimer lire. Le premier enseignement à retenir, c’est qu’ils le disent. J’en déduis qu’une partie d’entre eux est très éloignée de la lecture, et peut donc avoir du mal à lire. Le profil est celui d’hommes en zone rurale, peu diplômés. Au niveau de l’Etat, c’est toute une politique de lectures publiques et d’ateliers d’écriture à organiser ; pour le CNL, c’est soutenir les manifestations littéraires en zones rurales, et y amener en nombre ceux qui d’habitude ne lisent pas, mais qui viennent, car un festival impressionne moins qu’une librairie. Il y a des habitudes à réformer, faire en sorte que les gens ne se censurent pas l’accès aux bibliothèques ou aux librairies. Il nous faut travailler sur le terrain avec des associations en relais de démarches nationales. Et promouvoir que la lecture, quel que soit le niveau littéraire de ce qu’on aime, c’est d’abord du plaisir.
- Comment oeuvrer pour le livre sans donner l’impression de sauver un grand blessé… Changer son image ?
Au contraire, il faut s’appuyer sur l’image du livre qui est excellente : le livre est associé à la détente, au plaisir, c’est le media privilégié de la connaissance pour 71% des Français. Cette image en béton armé, il faut juste ne pas l’abîmer avec des discours défaitistes ou guerriers. Aller en librairie n’est pas un acte militant : on ne va pas en librairie pour sauver un circuit de distribution, on va en librairie parce que c’est agréable, qu’on y est bien accueilli, qu’on y conseille des livres qu’on aimera, et qu’on y prend parfois des cafés.
- Le numérique va-t-il fossoyer l’édition ?
Non pas du tout. C’est un marché qui s’ajoute au marché du livre en place. Les éditeurs publient désormais leurs œuvres en numérique ou en papier à peu près simultanément. La question des circuits de vente est d’un autre ordre. Mais je ne crois pas que le livre numérique supplante le livre papier, même si la question du support ne me paraît pas si importante. Le numérique n’est absolument pas une menace tant qu’on sauvegarde le droit d’auteur, la place de la librairie, la fiscalité sur le livre et le prix unique, c’est juste un outil en plus. Je ne peux pas affirmer qu’il drainera de nouveaux publics mais chez les grands lecteurs, la pratique numérique complète celle de la lecture des livres papier.
- Quelle place donnez-vous au CNL dans ce contexte ?
En situation de crise économique comme c’est le cas actuellement, le rôle du CNL est celui d’un pont qui permet à certains acteurs de passer la crise. La question de la librairie a été traitée en premier lieu, c’est le moment de réfléchir à l’édition indépendante de taille moyenne. En situation de conjoncture, notre rôle est d’aider les professions du métier du livre. Nos commissions, toujours réactives, ont intégré des missions comme celle de la traduction, les bourses d’auteur, le numérique, etc. Nous sommes constamment à l’écoute de nos partenaires pour les accompagner le mieux possible. C’est la raison pour laquelle il est si important que les professionnels du livre fassent partie de notre conseils d’administration.
Propos recueillis par Karine Papillaud
Crédit photo : Hannah Assouline/ CNL
C'est tout l'intérêt des bibliothèques d'avoir des bénévoles qui consacrent quelques heures à faire aimer la lecture et à faire évoluer le lecteur vers d'autres horizons de lecture car la diversité y est infinie...Le ou la passionné (e) de lecture va être à 100% dans la transmission....