
Parler d’un roman de Jean-Jacques Schuhl procède d’une gageure : dans ses romans, rares puisqu’au nombre de quatre, rêve et réalité, passé et présent s’entremêlent au profit d’un seul combat, celui du style.
Entrée des fantômes de Schuhl sonne comme un clin d’œil à Philip Roth dont le dernier roman sorti en octobre 2009 s’intitulait Exit le fantôme. Un hasard peut-être, mais qui surgit au sein de la même écurie éditoriale puisque les deux écrivains signent chez Gallimard. Le roman commence… par un roman : celui qu’est en train d’écrire le personnage principal du livre, Charles, un écrivain vieillissant et claudiquant, sorte de double de Schuhl.
Encore un clin d’œil à Roth. Jusqu’au moment où Raul Ruiz, rencontré par hasard dans un restaurant, propose à l’écrivain un rôle dans son prochain film. Interpellé, Charles n’a de cesse, dès qu’il croise un ami, de lui demander ce qu’il pense de cette offre qui titille chez lui des envies de gloire : ce Charles qui ne trompe plus personne a pris le goût des planches en écrivant Ingrid Caven, et en s’identifiant à son héroïne.
Son errance est nocturne, semée de jeunes mannequins et actrices droguées ou prêtes à tout : le cliché a fait long feu, il ressemble au cliché des années 80 qu’un vieux Beigbeder un peu caricatural mettrait en scène. Qu’à cela ne tienne : c’est peut-être vraiment cette époque et ce milieu dans lesquels a baigné Schuhl. Mais les héros des années 2000 ont pris la main, le roman ressemble au baroud d’honneur d’un écrivain inscrit dans un temps périmé. Relire Roth, encore et toujours.
Mais finalement, dans un livre de Jean-Jacques Schuhl, tout n’est que prétexte à la phrase, au style, à cette combinaison ensorcelante ou évanescente, selon qu’on entre ou non dans son jeu d’auteur. Quel que soit le voyage et quelle que soit l’histoire. Commencée en 1972 avec Rose poussière, sa carrière littéraire n’a connu de démarrage qu’en 2000 avec la parution du très remarqué Ingrid Caven, un roman étrange dédié à sa compagne, actrice et chanteuse allemande. Aujourd’hui, Jean-Jacques Schuhl est célébré à Saint-Germain-des-Prés comme un grand écrivain, c’est-à-dire un grand styliste.
Karine Papillaud
Entrée des fantômes, Jean-Jacques Schuhl (Gallimard), 2010