
Eddie Breuil. Retenez ce nom car il s’agit bien, à lire la presse littéraire, d’un grand terroriste de la vie intellectuelle. Cet universitaire, qui prépare actuellement une thèse sur l’édition critique, ose affirmer que Rimbaud ne serait pas l’auteur des Illuminations.
La plupart des critiques ont hurlé sans aller plus loin, et sans, surtout, se plonger dans sa courte mais dense étude intitulée Du Nouveau chez Rimbaud, publiée chez un éditeur tout sauf fantaisiste, les éditions Honoré Champion. Le titre élucide déjà le mystère et pose d’emblée les bases de la réflexion d’Eddie Breuil : Germain Nouveau serait l’auteur de la plupart des poèmes et pourquoi pas du recueil en entier. Commencent alors 173 pages d’un essai qui a tout d’une enquête serrée, où pas une ligne ne s’écarte du sujet.
Le recueil le plus énigmatique de la poésie française, qui a fait couler des litres d’encre pour des centaines de textes exégétiques ne devrait son mystère qu’à une erreur d’identité ? Beaucoup s’arrêteront là, foudroyés par l’inacceptable qui fait vaciller la critique littéraire sur ses fondements. D’autres, curieux, se procureront dare-dare cet opuscule qui dit tout, des lettres de Verlaine à la première publication en 1886 dans la revue littéraire éphémère La Vogue, passant au crible le sujet jusqu’à la mort des protagonistes. A l’époque, Rimbaud est loin, Nouveau, lui, voyage, puis décline en clochard errant de crise mystique en folie.
Il y aurait donc bien du Germain Nouveau dans la bibliographie d’Arthur Rimbaud. Quelques exemples ? A l’époque où il fréquente Nouveau, Rimbaud n’écrit plus de littérature contrairement à Nouveau dont la correspondance évoque une prochaine livraison. Les textes que Verlaine a donnés à la Vogue étaient destinés à être remis à Nouveau ; sans doute parce qu’il s’agissait véritablement des siens. Enfin, essayez de lire Les Illuminations à l’aune des thématiques poursuivies par Nouveau à ce moment, et la limpidité des poèmes en deviendra suffocante.
Le livre est un puits d’exemples, plus précis et dénichés encore, mais aucun ne suffira pour ceux qui refuseront de réinterroger l’histoire littéraire à l’ombre de cette thèse. Car l’expérience de remettre en question la religion rimbaldienne est plus risquée que de remettre en cause l’existence de Dieu dans un cénacle d’Evangélistes.
Lire Du Nouveau chez Rimbaud, c’est plonger dans une histoire qu’on pourra, ou non, croire et valider, mais une histoire Ô combien romanesque pour un recueil de poésie. Il y a l’amour, celui de Verlaine pour Rimbaud, qui, après son départ, a voulu forger la postérité littéraire de l’aimé ; la camaraderie, celle qui liait deux génies comme Rimbaud et Nouveau, se copiant et recopiant, coup de main de frères de littérature ; il y a les medias et les universitaires qui en assurèrent la réception durant 150 ans, mais surtout la légende littéraire qui se construit sur de grands mythes et de belles histoires. Gare à ceux qui remettent en cause les croyances établies.
Karine Papillaud