
Laurent Gaudé est l’auteur d’une œuvre à la fois théâtrale et romanesque.
Distingué par le Prix Goncourt en 2004 pour Le Soleil des Scorta (Actes Sud), Laurent Gaudé bâtit une œuvre ample, cohérente et forte, à l’abri de la scène médiatique.
Son dernier ouvrage est un recueil de nouvelles, Les Oliviers du Négus, dans lequel on retrouve ses thèmes de prédilection, comme l’homme et son destin, et bien sûr l’Italie. Conversation autour d’une œuvre et d’un auteur.
- Laurent Gaudé, l’épopée et la tragédie sont deux racines de votre écriture. Seriez-vous un auteur classique qui se serait trompé d’époque ?
Ce serait vrai si mon écriture ne naissait jamais de ce qui m’entoure, ou si je n’avais jamais écrit que La Mort du roi Tsongor. Je suis heureux dans mon époque, elle m’intéresse. Ma façon d’être classique réside peut-être dans la manière de l’aborder par les outils de l’épopée et de la tragédie.
- Quel est votre moteur littéraire ?
Grande question… Je dirais le désir de plonger dans différents destins, des réalités humaines que je ne connaîtrai pas dans ma vie : une mère, un criminel, un juge anti mafia. J’aime plonger dans chacune, avec le désir de composer la constellation la plus vaste possible de la gamme humaine. Je dirais alors que mon moteur, c’est l’empathie, la recherche de partage : chaque texte est une plongée « avec » un personnage. Et pour être grandiloquent un instant, je parlerais du désir de toucher du doigt quelque chose des vérités de l’existence.
- Il y a des valeurs comme le choix, la grandeur, mais aussi la vengeance et quelque chose d’une mystique à travers vos textes. Etes-vous un écrivain marqué par le spirituel ?
Je suis profondément athée, mais je crois au sacré. Mes personnages sont habités par une forme de foi. Même si je pense par ailleurs que chacun se choisit ce qui va être sacré pour lui, le temps qui sera le sien sur cette terre. Le choix est ce qui fait la noblesse et la beauté des hommes, avec toute la gamme de l’erreur ou de la responsabilité qui l’accompagnent. Les vivants m’intéressent. Je crois être résolument du côté de la vie. La seule chose vers laquelle j’irais volontiers, c’est la mélancolie. Mais elle n’a rien de mortifère.
- Les lieux semblent aussi importants pour vous que les personnages.
Je cherche des lieux qui transpirent quelque chose, particulièrement pour mes nouvelles qui sont chacune inspirées par un lieu. J’aime les lieux meurtris : ceux sur lequel le temps a accumulé des couches d’existences et dont il reste quelque chose. Ceux qui ont été marqués par des cataclysmes, guerres ou terrorisme par exemple. La Méditerranée m’attire pour cela. Elle conjugue la beauté à des terres où l’on n’a pas arrêté de se battre et de saigner depuis les débuts de l’histoire.
- Quelles qualités la nouvelle exige-t-elle de la part de l’écrivain ?
C’est un exercice de concision par rapport à une structure. Le plaisir est dans le rêve que le lecteur reste, pendant trente pages, dans le même état de curiosité, ses pas dans mes pas. La nouvelle me permet aussi d’être dans la voix de mes personnages. Je ne pense pas que je pourrais tenir un « je » de narration sur 300 pages d’un roman. Mais c’est possible sur une trentaine de pages : le personnage parle, le lecteur est dans sa tête.
- Comment ne pas mélanger les genres dans les textes quand on est, comme vous, à la fois dramaturge et romancier?
Au début, je voyais le théâtre et le roman comme deux territoires distincts. Ca me reposait de passer de l’un à l’autre. Depuis trois ou quatre ans, mon regard a changé : plus ça va et plus m’intéresse le moment où les ponts se jettent de l’un à l’autre. J’aimerais explorer la partie bâtarde entre les deux. Mon théâtre comporte beaucoup de monologues ; mes personnages de roman parlent beaucoup, il expliquent qui ils sont et disent tout sur ce qu’ils aiment et ce qu’ils pensent. Le trait commun entre les deux aspects de mon travail, c’est l’oralité, la voix.
Devant certaines de mes nouvelles, j’ai pu me demander où se situait la différence entre ce texte écrit à la première personne et un monologue de théâtre. Inversement, j’ai aussi l’envie de mettre plus de récit dans le théâtre, notamment avec les chœurs. Je crois que c’est dans la voix que cela se passe et qu’il me faut chercher. En poussant le principe un peu loin, une forme hybride devrait finir par se dessiner. Au fond, c’est peut-être cette « bâtardise » qui m’intéresse le plus. Bref, dans dix ans, j’aurai gommé la différence et je serai au milieu…
Propos reccueillis par Karine Papillaud
Photo : LaurentGaudé©MarcMelki