
Son premier roman, L’Immeuble Yacoubian (Actes Sud) a été un succès planétaire. Alaa El Aswany serait-il à la hauteur pour son deuxième ? C’est la question que lecteurs et critiques se sont posée au moment de la parution de Chicago (Actes Sud). Après avoir proposé dans son premier opus une critique aiguë du fonctionnement de la société égyptienne à travers la vie et les fortunes des habitants d’un immeuble, l’écrivain a délibérément déplacé la géographie de son récit aux Etats-Unis.
A l’instar de L’Immeuble Yacoubian, Chicago continue de creuser le sillon contestataire qui fait de son auteur l’un des écrivains égyptiens les plus courageux de l’époque.
Alaa El Aswany aime les lieux circonscrits : l’action de son nouveau roman se déroule entièrement sur le campus de l’université de biologie de Chicago, où se retrouvent des professeurs d’origine égyptienne exilés et des étudiants boursiers, financés par l’état égyptien. Il y a le professeur Raafat Sabet, totalement assimilé, qui a renié sa culture d’origine, le chirurgien copte Karam Doss qui ne peut opérer qu’en écoutant de la musique du pays, le docteur Mohamed Saleh qui a préféré enfouir son passé, rongé par la culpabilité d’avoir tourné le dos à son pays.
Et puis deux étudiants, Cheïma et Tarek, tiraillés entre le sentiment amoureux et la tradition, Ahmed Danana, le fourbe et corrompu président de l’Union des étudiants égyptiens d’Amérique, et Nagui, un étudiant libre-penseur, juste arrivé d’Egypte, qui va bousculer la société confinée de cette Little Egypt. Commence alors un passionnant roman qui tisse, à travers les histoires de chacun, les bases d’une réflexion critique sur fond d’amour, de religion et de politique.
On trouve dans Chicago tout ce qui peut choquer un musulman rigoriste : les femmes, leurs désirs profonds, la sexualité. Les hommes sont pris dans la contradiction de leurs élans et d’une tradition constamment mise à l’épreuve par la société américaine libérale, taraudés par la question de l’exil, de l’appartenance et des origines. Derrière la critique évidente du système politique égyptien tel qu’il se vit et s’exporte, Alaa El Aswany propose une réflexion plus générale sur le pouvoir, qui transcende la religion, le nationalisme, la relation entre les hommes et les femmes.
Il y a plusieurs façons de subir un système : celui de la dictature est clair, redoutable et évident. Celui de la grande machine américaine, brillante et épanouissante sous la seule condition de réussir, broie sourdement les faibles.
Karine Papillaud
Chicago, Alaa El Aswany, (Actes Sud), 2007