On croyait tout savoir du trafic de drogue et de ses réseaux, sans doute à force de reportages télévisés et de faits-divers dans la presse. Avant la chute donne pourtant l’impression d’une découverte, sans doute grâce à la force de la fiction et d’une narration impitoyablement tenue. Le livre ouvre en Colombie sur les malheurs d’une famille d’agriculteurs qui, après avoir dû abandonner la culture du maïs pour la coca, se voit contrainte à l’exil. Les deux filles de la famille veulent aller loin, aux Etats-unis, mais ce voyage implique de passer dans l’œil du cyclone mexicain. On y retrouve un sénateur qui tente de maintenir son état dans une paix relative, préservée des pressions des cartels de la drogue. Mais lui-même n’est pas un homme sans taches : les origines de sa fortune sont douteuses, et l’ogre est un gros consommateur de jeunes vierges fraîches.
Loin de là, dans une banlieue française, sur les lieux mêmes de la distribution des drogues à leurs consommateurs, un petit garçon trop doué, dont le frère aîné est l’un des barons locaux, sent arriver la tragédie alors même que l’équilibre de sa famille tient à un souffle. Certains de ces personnages se rencontreront, d’autres non, tous sont liés par la même et sinistre chaîne, celle de la criminalité. Et même l’auteur, assorti par une complicité muette et dramaturgique au petit garçon qui joue à lui seul le Chœur tragique, ne sort pas indemne du drame à l’œuvre.
Curieusement, il se dégage un fumet d’optimisme et de sérénité du désordre qui ferme le livre. Peut être parce que l’auteur a démontré que le chaos lui-même est condamné à sa propre extinction. Aucune conviction religieuse ne sous-tend l’œuvre de Fabrice Humbert, qui voudrait que le Mal serait une intention et diviserait le monde entre bons et méchants. Le regard d’Humbert est laïque, au moins celui d’un homme des Lumières, qui réfléchit librement au monde qui l’entoure. Forcément, Avant la chute ne peut pas se contenter d’être un simple roman. Il est aussi une réflexion qui poursuit longtemps le lecteur.
Karine Papillaud
Photo© Marc Mameaux