
On le connaît encore trop mal, mais il est l’une des plumes les plus justes et dégrisées de la littérature américaine.
A travers Arrêtez-moi là !, son cinquième roman publié chez Liana Levi, Iain Levison poursuit son œuvre de déconstruction du grand rêve démocratique américain.
Le héros de Arrêtez-moi là ! s’appelle Jeff Sutton, il est chauffeur de taxi et il est condamné à mort pour avoir kidnappé une petite fille. Une enfant qu’il n’a jamais vue, mais la fille d’une cliente qu’il a déposée un soir chez elle, chez qui il a eu le malheur de rentrer pour passer rapidement aux toilettes. Le lendemain, il se retrouve plaqué au sol par deux policiers venus l’arrêter.
S’engage alors une spirale infernale : des flics flemmards et sous pression trouvent en lui le coupable idéal, l’avocat commis d’office, pâle et démotivé, le défend mal, et le voilà installé dans le couloir de la mort jusqu’à ce qu’un concours de circonstances le disculpe miraculeusement.
En général, c’est là que la société pose son happy end, avec un mot d’excuse. Mais Iain Levison raconte jusqu’au bout : le regard torve des voisins au retour, l’appartement reloué, les affaires personnelles vendues aux enchères ou jetées, le boulot perdu, et puis finalement les tordus du couloir de la mort qu’il se prend à regretter.
Bref, la vie qu’il retrouve est déjà finie. Les héros de Levison sont, heureusement pour eux, étanches au désespoir, trop habitués à nourrir la seule ambition de survivre. Jeff Sutton ne fait pas exception et Iain Levison continue son histoire sans céder à la tentation de la tragédie facile ou de l’optimisme niais vers une fin douloureusement réaliste pour le lecteur.
Levison, un Américain comme les autres
Cet Ecossais de souche, arrivé aux Etats Unis à l’âge de huit ans, a commis l’erreur de faire de longues études littéraires qui ne l’ont pas amené vers la réussite professionnelle, mais vers une kyrielle de petits boulots, de charpentier à pêcheur en Alaska, en passant par promeneur de chiens.
La quarantaine bien tassée, il raconte l’envers du rêve américain dans des histoires qui tiennent autant de la fiction que du récit : Des Tribulations d’un précaire, son premier texte autobiographique à Un petit boulot, en passant par Une canaille et demie et Trois hommes, deux chiens et une langouste, il s’attache à raconter la vie des « sans grade », ceux qui peinent à rester au-dessus de la ligne de flottaison sociale, n’espérant pas atteindre la middle class mais simplement survivre en paix.
Iain Levison est peut être le Zola américain, mais dans une version très moderne, sans leçon, discours social ou jugement acide. Sa plume est légère, caustique, décontractée. L’air de rien, il raconte ce que l’Amérique n’a pas envie d’entendre. Hasard ou coïncidence, il est boudé aux Etats-Unis et ne trouve pas toujours un éditeur pour le publier. Ses « ends » ne sont en effet pas assez « happy ».
Karine Papillaud
Arrête-moi là ! , Iain Levison, Ed. Liana Levi, 2011