
Qu’on prenne la direction du grand raout théâtral de l’année, qu’on veuille briller en société sans avoir à fouler la cour d’honneur du Palais des Papes ou qu’on souhaite s’imaginer sa propre mise en scène, voici une sélection de livres joués en Avignon cet été.
Quand Olivier Py revisite Shakespeare
Pour sa première création à l’Odéon, en 2008, Olivier Py s’était attaqué à la trilogie d’Eschyle, « L’Orestie », modernisant la tragédie des Atrides et imposant sa marque sur un texte fondateur du théâtre. Désormais à la tête du festival d’Avignon, le metteur en scène et dramaturge replonge dans « Le Roi Lear » de Shakespeare, imposant sa propre traduction (polémique !), replaçant le mythe dans une perspective contemporaine (la violence du XXe siècle), multipliant les raccourcis pour, selon lui, retrouver la concision originelle de l’anglais. Une traduction qui hérissera les puristes et dont la transposition sur scène n’a pas franchement séduit les critiques, mais qui apporte un éclairage nouveau sur l’une des plus grandes tragédies de la langue anglaise...
« Le Roi Lear », Olivier Py/William Shakespeare (Actes Sud, 2015).
Alain Badiou dépoussière Platon
En 2012, le philosophe Alain Badiou émergeait d’un long « face-à-face avec son maître » : il livrait son adaptation de « La République » de Platon, dépouillée de références purement grecques, délivrée de ses oripeaux classiques et augmentée de ses propres réflexions, pour faire ressortir toute la dimension contemporaine d’un texte central sur l’idée de justice et de vivre ensemble. Entre fidélité au texte originel et radicalité dans l’adaptation moderne, Badiou livrait un objet philosophique étrange, adapté cette année au festival d’Avignon, par une troupe de comédiens, dirigés par Didier Galas, Valérie Dréville et Grégoire Ingold.
« La République » de Platon, adaptée par Alain Badiou (Fayard, 2012).
Philippe Berling réinvestit Kamel Daoud et... Camus
Prix Goncourt du premier roman 2015, « Meursault, Contre-enquête » (Actes Sud, 2014) voyait l’écrivain algérien Kamel Daoud s’attaquer à un grand mythe de la littérature du XXe siècle, « L’Etranger » de Camus, à travers ce roman parallèle qui interrogeait avec une force littéraire impressionnante la question de l’héritage colonial et de l’identité dans le contexte de l’Algérie contemporaine. Un prétexte à une pièce de Philippe Berling (intitulée « Meursaults »), saluée par la critique...
Krystian Lupa se fond dans le texte de Thomas Bernhard
Réflexion fulgurante sur la création artistique et le milieu de l’art, à travers l’évocation d’un dîner donné au cœur de l’intelligentsia viennoise, « Des Arbres à abattre » fait partie de ces textes dans lesquels il faut souvent se replonger – ce dont ne se privent pas les metteurs en scène qui en ont fait l’un de leurs textes fétiches. Le chef-d’œuvre romanesque, déjà adapté au théâtre de la Colline en 2012 par Claude Duparfait et Célie Pauthe, mérite d’être relu pour capter la magistrale adaptation du polonais Krystian Lupa qui a profondément digéré et transposé le texte de Thomas Bernhard pour cette création au festival d'Avignon.
« Des Arbres à abattre », de Thomas Bernhard (Folio/Gallimard).
Emmanuel Noblet donne corps aux textes de Maylis de Kerangal
Prix Orange du Livre et Grand Prix RTL-Lire (entre autres), le roman de Maylis de Kerangal, « Réparer les vivants », a marqué l’année littéraire 2014 avec son récit précis, juste et émouvant d’une transplantation cardiaque. C’est cette course contre la montre et pour la vie, dont on a déjà dit tout le bien ici, qui donne lieu à une interprétation en solo tout à fait remarquable de l’acteur Emmanuel Noblet dans le cadre du festival off d’Avignon...
« Réparer les vivants », de Maylis de Kerangal (Gallimard/Verticales).
Damien Cenis