Une plume vive, des héros imparfaits et une jolie critique de notre société
C'est peu dire que la figure d'Agostino John Sinadino a sombré dans l'oubli : de ce poète né au Caire et mort à Milan, dont l'existence conserve une large part de mystère, les premiers critiques avouaient ne savoir «pratiquement rien». Pourquoi se pencher sur cette oeuvre à l'abandon, littéralement hors d'usage ? Si le cas d'A. J. Sinadino mérite d'être étudié, c'est parce qu'il dépasse de toute évidence le «pittoresque» propre aux auteurs de second rang. Son parcours chaotique entre l'Egypte, la France, l'Italie et les Etats-Unis tient certes, à sa façon, de l'épopée d'un marginal de la littérature. Mais il illustre aussi les paradoxes d'une oeuvre exigeante, élaborée dans l'ombre de la modernité, au contact de personnalités de premier plan telles que Marinetti, Gide ou Valéry : poète bilingue, écrivant à la fois en italien et en français, A. J. Sinadino bâtit une oeuvre secrète et isolée, vouée à rester, par son originalité même, aux marges de l'histoire littéraire. Ni majeur ni mineur, cet auteur inclassable illustre de façon exemplaire les ambiguïtés de notre «tradition moderne», qui n'accorde guère de place à ceux que l'on pourrait appeler ses déserteurs. On l'aura compris : il s'agit moins de proposer la réhabilitation d'un créateur «injustement oublié» que d'engager, à partir de son cas, une réflexion sur les angles morts de la mémoire littéraire.
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