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Le " martyre d'amour " n'est pas seulement un thème, emprunté à la lyrique courtoise par le roman en vers de la seconde moitié du douzième à la fin du treizième siècle, exprimant la souffrance amoureuse d'un amant. Il est aussi le lieu à partir duquel la mélancolie amoureuse d'un poète est transformée en création poétique. Dès la seconde moitié du douzième siècle, l'introduction de l'amour dans le roman en vers, celle du " je " du romancier amant, et celle enfin de refrains ou de couplets de chansons courtoises, le transforment en profondeur. Le roman en vers, en même temps qu'il devient " roman du moi ", est l'objet d'une véritable expérimentation poétique. La fonction naturellement descriptive du roman souligne la souffrance amoureuse de son nouvel amant, le romancier, et permet aussi de dégager les mécanismes qui transforment cette souffrance en " roman ". De surcroît, le roman en vers n'ayant pour structure que sa propre histoire, l'amour d'un " je " présent dans ses vers le contraint à la recherche d'un temps préservant avec l'immortalité de l'oeuvre, celle du romancier. Entre la mort et la vie, entre le cri et les phrases banalisant ce cri, entre la présence d'un " je " narrant et l'histoire d'un " je " narré, entre la lettre et la voix, entre la confidence intime et l'universelle poésie, le roman en vers en proie au " martyre d'amour ", et devenu " roman du moi ", pâtit d'apories apparemment insolubles. Apparemment seulement, car l'expérience amoureuse du romancier le transforme en un " art d'aimer et de dire l'amour " par lequel le " grand chant courtois " est remplacé, pour un peu de temps encore, par le " grand roman d'amour courtois " en vers.
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