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Tous feux braqués sur la fabrique d’un chef d’œuvre

Littérature étrangère, éditions Rivages

Tous feux braqués sur la fabrique d’un chef d’œuvre

Interview de l’éditrice d’Attachement féroce, de Vivian Gornick

 

Souvenez-vous, on vous parlait du livre il y a peu, parmi les incontournables antidotes à l’ère Trump. Lecteurs.com a adoré Attachement féroce de Vivian Gornick (Rivages). On a décidé d’interviewer l’éditrice française de cette grande écrivaine américaine, Nathalie Zberro.

Jeune femme passionnée de littérature étrangère, pleine d’énergie et d’érudition, Nathalie Zberro a fait ses classes aux éditions de l’Olivier pour qui elle a déniché et édité un bon nombre de joyaux littéraires, avant de reprendre le domaine étranger des éditions Rivages fin 2013. Si Attachement féroce est à coup sûr un des chefs d’œuvre de 2017, et on s’avance à peine en le disant, il est aussi l’occasion de porter la lumière sur une des éditrices les plus douées de l’époque éditoriale française.

 

Vous publiez en cette rentrée chez Rivages, un livre d’un auteur qu’on ne connaît pas en France, sorti en 1987 aux États-Unis. Il s’agit d’Attachement féroce de Vivian Gornick. Comment nous en parleriez-vous ?

 

Attachement féroce est le roman d’une vie, même si ce n’est pas un roman. Vivian Gornick, légende du journalisme en Amérique, raconte ses rapports avec sa mère. Qui est charismatique, drôle, irrésistible, tout en étant terrible. Ce qui frappe, c’est l’ampleur du texte alors que le sujet pourrait sembler minuscule : des femmes dans leur cuisine qui rient, s’amusent de commérages ; un écrivain évoquant son enfance, une mère et sa fille qui marchent dans les rues de New York… Pourtant l’intime prend immédiatement une dimension universelle. Gornick pose des questions que toutes les femmes (et les hommes) se posent un jour où l’autre : l’ambivalence face à nos parents, ce lien si fort qu’il semble toujours sur un fil. Ce livre est aussi l’histoire d’une femme qui appartient à la génération d’après-guerre, et se choisit la littérature comme territoire pour déjouer les règles de l’appartenance sociale. Le premier roman que lit Vivian, on pourrait dire que c’est celui raconté par la mère. Elle vient d’une famille modeste du Bronx, mais l’intérêt pour la littérature prend sa source dans cette histoire orale faite de choses infimes ou de drames majeurs. La vie, en somme.

 

Votre première lecture du livre ?

C’était plus que de l’enthousiasme, on peut parler d’amour fou. J’ai oublié que je travaillais, je suis redevenue une simple lectrice. J’ai été prise par le charme, la tendresse et la lucidité du texte. J’aime qu’elle ne cherche pas la confession larmoyante. L’émotion jaillit justement parce que l’auteur ne veut pas la provoquer. C’est un livre qui met face à soi, comme ceux de Joan Didion. Dès le titre, Vivian proclame son originalité : Attachement féroce, quel étrange mélange, non ? Mais j’ai tenu à le conserver en français, je ne voulais pas trahir l’esprit de cette grande dame.

 

Ce livre, il vous a fallu le gagner aux enchères !

Très vite, nous avons été plusieurs éditeurs à nous battre autour de ce texte. Chacun y a vu, je crois, le potentiel mais, au-delà, chacun a perçu le génie de cette femme. Il était impossible de ne pas traduire ce livre. Qui est véritablement « culte » en Amérique et a déjà conquis l’Italie, l’Australie.... C’est assez rare de se battre pour un texte de 1987. J’ai été épatée de voir en parlant avec des romanciers américains de tous âges la ferveur autour de ce texte. Et quelle longévité ! Il est republié régulièrement aux Etats-Unis tel un classique.

 

Qui est Vivian Gornick ?

C’est une icône féministe, engagée dans plusieurs combats politiques et intellectuels ; une critique littéraire respectée, voire crainte, qui a travaillé pour The Village Voice ou The New York Times. Elle est célèbre pour avoir brillamment apporté la contradiction à des auteurs comme Norman Mailer, John Updike, Philip Roth. Récemment, elle a écrit un article formidable sur la saga d’Elena Ferrante.

Le féminisme de Gornick, tel qu’il transparait dans Attachement féroce est très intéressant : le mot n’apparait jamais. Alors que c’est un combat auquel elle a dédié sa vie, un mot qu’elle a utilisé des centaines de fois dans des conférences, discours, livres. Un mot qui fait partie de ce qu’elle est. Mais elle a gardé en tête les paroles de sa mère : « N’oublie pas d’où tu viens. » Et la première cause de ces femmes à qui elle rend hommage, ce n’est pas leur émancipation, ou pas consciemment. Elle a voulu montrer dans le livre cette trajectoire de manière presque subliminale. Comment la gamine du quartier devient Vivian Gornick ? Comment devient-on adulte ?

 

C’est Laetitia Devaux qui traduit le texte de Vivian Gornick. Comment faites-vous vos choix de traducteurs ?

Laetitia est une traductrice avec laquelle je travaille depuis très longtemps. Je l’ai connue aux Editions de l’Olivier, où je suis restée presque dix ans. Elle a traduit entre autres Ali Smith, Lorrie Moore, John Cheever, Jim Crace. On se connait bien, nous sommes amies, et elle a perçu tout de suite mon immense proximité affective avec ce livre. Je savais qu’elle ferait un travail magnifique. En lisant sa traduction, j’ai entendu la voix de Vivian : sarcastique, rude parfois, mais, au fond, bouleversante.

 

Le livre vient de sortir. Comment est-il accueilli ?

Les premiers lecteurs enthousiastes furent les gens de l’équipe de Rivages. Aujourd’hui, les libraires partagent notre emballement, et les critiques déjà parues sont très élogieuses. Je suis ravie. Il faut que ça se propage encore et encore. On l’espère tous. On bataille pour ça.

 

Attachement féroce est-il en route vers le best-seller ?

J’avoue être beaucoup trop superstitieuse pour répondre par oui ou par non à cette question très prématurée. Le best-seller, c’est du travail, de la stratégie, des moyens déployés, mais aussi une part de chance, et souvent une dose de malentendu. Ce qui explique que cette combinaison miraculeuse soit assez rare. Ensuite, quand ça marche, on parle de « flair »…

 

Dans quel contexte pour la littérature étrangère le livre arrive-t-il en France ?

Le marché est en crise. Elle coûte toujours chère à produire alors que le cercle des lecteurs diminue. Pourquoi ? Je n’ai pas d’explication unique convaincante. C’est une multiplicité de facteurs : il y a beaucoup d’éditeurs sur le marché, nous avons tous moins le temps de lire, les livres traduits coûtent de 20 à 25 euros, ce qui n’est pas rien en période de désarroi économique. Être éditeur de littérature étrangère aujourd’hui, c’est forcément faire avec ces contraintes. Mais il y a une vertu dans toute difficulté. Ni l’art ni l’industrie – l’édition se situe exactement entre les deux – ne se pratiquent sans contrainte. C’est le jeu. Cela nous oblige à publier mieux. Il faut être combattif. Je publie de huit à dix titres par an seulement pour que chacun tente de trouver sa place.

 

La littérature étrangère a longtemps été celle que préféraient les lecteurs. On l’imagine plus rentable, est-ce toujours le cas ?

On l’imagine surtout moins risquée. Car on se dit que la vie commerciale dans d’autres pays garantit un succès. Et puis il y a forcément un mythe autour des auteurs venus d’ailleurs. Ils nous parviennent avec leur mystère, leur culture… Et tant mieux. C’est pour ça que ce métier est passionnant. Mais la réalité se révèle plus complexe. Lorsque j’achète un manuscrit aujourd’hui, je prends un risque absolu car, neuf fois sur dix, il n’est pas encore publié dans sa langue d’origine ni ailleurs. Contrairement aux éditeurs de romans français, je ne peux pas intervenir sur les textes – ou très rarement. J’ajoute qu’un succès énorme à l’étranger ne garantit rien. Certains auteurs vendent beaucoup plus ou beaucoup moins chez nous que dans leur pays.

 

 

Vous dirigez le domaine étranger de Rivages depuis fin 2013. Les premiers livres ont paru il y a un peu plus de deux ans. Comment se crée une ligne éditoriale ?

Par affinité, par instinct, par hasard. Chez Rivages, la page n’était pas blanche en littérature étrangère. Le fonds est magnifique, la collection de poches contient des trésors, et j’ai à cœur de m’inscrire dans cette lignée tout en apportant du sang neuf et de l’audace. La cohérence éditoriale ne doit pas être un piège, il ne faut pas radoter : Rivages est une marque qui permet de publier des choses très différentes.

J’aime beaucoup que Bernard Malamud – dont j’ai entrepris de republier toute l’œuvre depuis 2015 – cohabite avec Eddie Joyce, jeune auteur d’un premier roman très remarqué, Les Petites consolations. La réédition de L’Homme de Kiev a été un joli succès (11 000 exemplaires), qui a préparé la réception fructueuse de Joyce, mais aussi de Colin Barrett, un jeune Irlandais, d’Owen Sheers, finaliste du Femina en 2015…  Chaque livre prépare le suivant. Une ligne éditoriale, ça se construit. J’ai appris puis exercé mon métier chez Verticales et à l’Olivier avant Rivages. Ça laisse des traces, forcément !

 

Propos recueillis par Karine Papillaud

 

 

 

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