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Les Correspondances, Manosque 2016 : Suprême régal pour lecteurs

l'article de Jean-Paul Degache, lecteur

Les Correspondances, Manosque 2016 : Suprême régal pour lecteurs

Découvrir Manosque et les Correspondances en même temps est un immense privilège. À chaque pas, le plaisir se renouvelle, les surprises abondent et le bain de littérature offert est absolument exceptionnel.

Dans cette ville de plus de 22 000 habitants - où les transports en commun sont gratuits - située à l’extrémité est du massif du Lubéron, tout près de la Durance, écrivains et artistes sont conviés à rencontrer leur public sous le soleil, sur les belles places de la vieille ville. Ici, l’écrit est valorisé en permanence. D’abord, avec ces écritoires disséminés un peu partout et approvisionnés en enveloppes, papier à lettre et cartes postales. Ils offrent, à qui le désire, la possibilité d’écrire à la personne de son choix, un plaisir devenu de plus en plus rare de nos jours. Les Correspondances se chargent d’expédier le courrier avec la complicité de La Poste.

 

Ces écritoires sont multiples et originaux, de la simple cabine au perchoir dans un arbre…
Il y a aussi ces citations collées sur les murs, d’immenses panneaux portant un texte et une couverture de livre mais, surtout, ici, les écrivains sont rois… comme les lecteurs d’ailleurs, incroyablement gâtés et choyés par des bénévoles toujours à l’écoute.

Au hasard des places, on rencontre un François Bégaudeau très à l’aise pour répondre aux questions à propos de Molécules. Il parle même des BD auxquelles il collabore. Notre première soirée se termine au théâtre Jean-le-Bleu qui rappelle le fameux roman de Jean Giono qui a inspiré La femme du boulanger à Marcel Pagnol dont une place de Manosque porte le nom, bien sûr. Régis Jauffret est à l’honneur puisque Françoise Fabian et Marie-Sophie Ferdane impressionnantes, lisent les lettres échangées entre Jeanne et Noémie dans Cannibales, son dernier roman. Amour et haine se croisent et s’entrecroisent avec une musique utile pour détendre ou électriser l’atmosphère. L’heure est tardive mais le public bien présent pour se repaître de la voix chaude et sensuelle d’ Arthur H qui, accompagné par Nicolas Repac, nous emmène sur des terres érotiques connues ou inconnues. L’Or d’Éros permet d’apprécier ou d’être remué par des textes signés Guillaume Apollinaire, André Breton, Pierre Louÿs, James Joyce, Georges Bataille, Ghérasim Luca… C’était chaud, chaud !!!

Devant cette incroyable scène constituée d’une montagne de livres rangés ou dérangés dans une bibliothèque unique, nous retrouvons, place de l’hôtel de ville, Arnaud Cathrine et Clémentine Beauvais qui répondent aux questions de Sophie Quetteville. Le débat est traduit en langue des signes et mêmes les fauteuils sont des livres ! Arnaud Cathrine situe A la place du cœur dans la semaine sanglante de janvier 2015 en pensant à ce que ressentaient les ados devant ces morts, ce sang versé et cette mise en spectacle par les chaînes d’info. Dans Songe à la douceur Clémentine Beauvais s’est inspirée du grand roman d’Alexandre Pouchkine, Eugène Onéguine. Elle aussi écrit en vers libres pour nous faire vivre l’amour, sans voyeurisme, montrant qu’il est souvent plus doux de rêver à une personne que d’être avec elle.

 

Manosque s’anime de plus en plus. Les amateurs de lecture arrivent très nombreux et il ne faut pas être en retard si l’on veut une place pour écouter Serge Joncour et Guy Boley, une rencontre animée par Julien Bisson. Tous les deux, ils s’inspirent des terres qui les ont vus grandir. Guy Boley, dans Fils du feu, parle d’une France révolue. Lui, l’ancien funambule dont le maître est Pierre Michon, a trouvé son équilibre dans l’écriture et annonce déjà trois nouveaux romans prêts à être publiés. Avec toujours beaucoup de bon sens, dans Repose-toi sur moi Serge Joncour parle de son immeuble, de son quartier et de cette régulation qui se fait naturellement à la campagne alors qu’en ville, il faut aller dans l’immeuble d’en face pour se voir vivre…

Catherine Poulain est très attendue à Manosque mais elle n’est pas très bavarde et ceux qui ont lu Le Grand Marin, restent un peu sur leur faim. Pourquoi « Manosque-les-couteaux » ? Les explications promises par Sophie Quetteville ne viennent pas vraiment. Avec Thierry Vila, Le Cri, ils ont en commun la mer et une femme pour héroïne : Lily pour Catherine Poulain et Lil pour Thierry Vila. L’une est dans la réalité pour aller jusqu’au bout de ce qu’elle veut, l’autre est dans l’intensité et refuse de se soumettre aux représentations dominantes.

 

Vincent Message, Prix Orange du livre 2016, avec Défaite des maîtres et possesseurs, et Jean-Baptiste Del Amo en écrivant Règne animal, ont en commun de pousser très loin notre réflexion sur ce que nous faisons subir à ce que nous nommons les bêtes. C’est très dérangeant et provoque une réflexion fort utile, allant de l’anticipation politique pour le premier à un questionnement indispensable sur la condition animale pour le second. Yann Nicol a bien su faire ressortir les qualités de ces deux romans dont la lecture s’avère urgente.

 

En soirée de ce vendredi 23 septembre, André Wilms prouve, s’il en est besoin, qu’il est vraiment Un type bien, comme le titre de la correspondance de Dashiell Hammet l’indique. Accompagné par le saxophone ou la clarinette de Leandro Guffanti, il nous subjugue, nous captive, nous émeut, tellement sa lecture est vivante. La comparaison avec la soirée du lendemain sera édifiante mais n’anticipons pas. En fin de soirée, Frère Animal – second tour aurait mérité une pleine salle car la création d’Arnaud Cathrine, Florent Marchet, Valérie Leulliot, Nicolas Martel et Benjamin Vairon est d’une actualité brûlante. C’est un spectacle absolument nécessaire, indispensable pour nous faire réfléchir devant certaines tentations à l’écoute de discours prônant la haine et le rejet de l’autre. Musicalement très riche, Frère Animal est en tournée, il ne faut pas le rater.

 

Parmi les moments extrêmement savoureux des Correspondances, il faut être de l’Apéro et de la Sieste littéraires !

Ce samedi, jour de marché à Manosque, va nous donner l’occasion de profiter de ces moments de grâce. L’Apéro est servi par les lecteurs passionnés de la médiathèque locale, un comité de lecture qui a fait un triomphe en lisant quelques pages de Petit Pays, de Gaël Faye, et de Désorientale, de Négar Djavadi. C’est vivant, haletant, captivant. Nathanaële Corriol et Sylvie Pezon ont bien travaillé avec leur Comité de lecture et l’émotion des deux auteurs comme la réaction du très nombreux public étaient la plus belle des récompenses.

Se retrouver allongé sur la moquette avec un coussin sous la tête dans la petite salle du théâtre Jean-le-Bleu en présence de Véronique Ovaldé, Négar Djavadi et Vincent Message, trois écrivains talentueux qui vous lisent des pages de leur roman qui vient de paraître est une expérience unique, inoubliable. En plus, Bastien Lallemant, Babx, JP Nataf, Maëva Le Berre, Camélia Jordana, Florent Marchet, Nicolas Martel et Valérie Leulliot nous ont gratifiés de musiques et de chansons délicieuses, planantes, douces et suaves… génialissime !

Cette sieste littéraire est très demandée et de nombreux candidats au sommeil sont restés devant la porte… hélas.

 

Malgré un orage tentant vainement de gâcher la fête, Natacha Appanah pour Tropique de la violence et Ali Zamir pour Anguille sous roche répondaient aux questions de Maya Michalon, place de l’hôtel de ville. Quant à l’auteur portugais, Gonçalo M. Tavarez, place Marcel Pagnol, il tenait des propos très pertinents sur l’acte de lire. Michel Abescat lui permettait de présenter son dernier livre : Matteo a perdu son emploi. Son style est très épuré puisque lorsqu’il a écrit dix feuillets, un mois après il n’en reste plus qu’une demi-page qui sera publiée.

Luc Lang, sobre et efficace, a commencé par la lecture de la page 14 de son dernier roman : Au commencement du septième jour. Comme d’habitude, Maya Michalon menait cette rencontre avec beaucoup de tact et de talent, n’oubliant pas de souligner qu’il était temps que cet auteur vienne à Manosque. Ce livre qu’il voulait intituler « Préférer l’océan » lui a demandé cinq ans de travail et c’est lui qui s’est occupé de la mise en page pour qu’il soit agréable à tenir en mains et à lire. Il préfère la perception du paysage à sa description, pratique l’ellipse, comme au cinéma, pour permettre au lecteur de vivre chaque événement, d’en ressentir l’émotion.

En soirée, le théâtre Jean-le-Bleu était comble et le public attendait beaucoup de cette deuxième séance nommée « Au bonheur des lettres », un choix de lettres collectées par Shaun Usher. Hélas, Cédric Khan, acteur et réalisateur de cinéma, n’a pas été à la hauteur des attentes. Sa lecture semblait bâclée, sans relief, contrairement à Marianne Denicourt, une actrice qui avait pris son rôle à cœur et travaillé. La comparaison avec la prestation d’André Wilms, la veille, était inévitable et la déception était grande.

Un public nombreux se retrouvait, assis par terre, dans la salle du Café provisoire du théâtre pour écouter Maissiat, une jeune artiste étonnante qui faisait vite oublier la déception du spectacle précédent. Accompagnée de deux musiciens, elle nous entraîne dans les méandres de l’amour avec Marguerite Duras, Bilitis de Pierre Louÿs, David Hamilton, Françoise Sagan… mais l’on oublie vite ces auteurs, tellement charmés par une Maissiat absolument unique.

Le dimanche est la dernière journée des Correspondances et, au petit matin, les ruelles de la vieille ville sont bien tranquilles. Place Marcel Pagnol, Éric Vuillard est avec Michel Abescat pour son 14 Juillet. Quelle bonne idée de remettre les choses en place pour sortir de cette histoire officielle qui oublie trop souvent les gens du peuple pour ne retenir que quelques noms de puissants ou de gens haut placés qui n’ont eu, finalement, qu’un rôle insignifiant ! Éric Vuillard part de l’émeute Réveillon, en avril 1789, émeute qui a causé la mort de trois cents personnes pour mettre en avant les invisibles. Son important travail sur les archives lui a permis de sortir quelques noms de l’oubli et de rappeler que ces gens travaillaient, qu’ils étaient manouvriers, passementiers, par exemple. Quant aux moments oubliés par l’Histoire, il faut les raconter, les imaginer et c’est tout le travail de l’écrivain qui rend cette Bastille et ce 14 Juillet au peuple, à tous les peuples.

Une heure avant le début de la rencontre avec Magyd Cherfi, il n’y a plus une place assise de libre et c’est devant une foule énorme que Maya Michalon présente celui qui est devenu parolier et chanteur de Zebda, auteur de Ma part de Gaulois. Son écriture est liée à l’urgence de tous les jours et à cette actualité féroce qui voit l’arrivée de la gauche au pouvoir et, au final, des jeunes toujours cantonnés dans leur cité. Magyd Cherfi dit son amour pour la langue française, pour la France et multiplie les anecdotes émouvantes ou désopilantes de sa vie dans la cité. Il n’hésite pas à affirmer que le droit de vote aurait dû être donné à tous les immigrés, dès 1981, que la gauche a manqué trop de rendez-vous. Lui qui avait honte d’entendre ses parents baragouiner en français ajoute : « Je suis athée. Je suis Pyrénéen, je suis Français mais on me renvoie toujours aux origines de ma famille… » Quand il lit un extrait de son livre, c’est génial et cela se termine par un tonnerre d’applaudissements. Il faudrait vraiment tirer les leçons de tout ce qu’il écrit car son témoignage permet de comprendre ces problèmes qu’aucune solution simpliste d’exclusion ne permettra de résoudre.

Place de l’hôtel de ville, Laurent Mauvignier répond aux questions de Sophie Joubert à propos de Continuer. L’auteur aime se mettre dans l’inconfort, changer de style d’un livre à l’autre, écrire pour le théâtre, le cinéma et se mettre en danger. Il affirme vouloir continuer tous les jours à faire ce qu’il ne sait pas faire : écrire.

C’est avec Caryl Férey que, Ghislaine et moi, nous terminons ces Correspondances 2016. D’abord place de l’hôtel de ville puis au théâtre Jean-le-Bleu pour le concert de Bertrand Cantat d’après son roman : Condor.

Au centre de la vieille ville, Yann Nicol rappelle Mapuche, ce roman à propos du terrible sort réservé aux indiens Mapuche sous la dictature militaire en Argentine. Cette fois, le nouveau thriller de Caryl Férey nous entraîne au Chili, une écriture qui lui a demandé près de quatre années de travail. Là-bas, les Mapuche sont considérés comme des terroristes, leurs terres sont vendues pour exploiter la forêt et ce pays n’a pas jugé ses bourreaux, contrairement à l’Argentine.

Allégorique et incandescent, Condor live, le concert de Bertrand Cantat avec ManuSound et Marc Sens a transcendé l’œuvre de Caryl Férey dans un théâtre comble et complet longtemps à l’avance. L’auteur lui-même a présenté le spectacle laissant la place à un artiste étonnant de présence et à la voix aux ressources immenses. Nous étions soulevés, emportés, plongés dans l’horreur de la répression et de la fuite du Colosse et de Catalina qui traversaient les pires épreuves tout en démontrant un amour et une confiance mutuelles émouvantes. Ce final extraordinaire a laissé le public debout pour ovationner longtemps artistes et auteur réunis sur la scène faisant de ces Correspondances 2016 un rendez-vous inoubliable.

 

© Jean-Paul Degache

 

 N'oubliez pas de lire également l'article de Joëlle G, lectrice passionnée, ici !

Tout savoir sur le partenariat que nous vous avons proposé et sur Les Correspondances 2016, du 21 au 25 septembre

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