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Kamel Daoud et le Mal absolu, Dany Laferrière et le mal français, s’auto-éditer : comment on fait ?

La Revue de Presse littéraire de février

Kamel Daoud et le Mal absolu, Dany Laferrière et le mal français, s’auto-éditer : comment on fait ?

Qu’y a-t-il dans les journaux littéraires de février ?
Pas mal de choses, en vérité. Signe des temps ou simple coïncidence ? Il y est surtout question de littérature étrangère et… de l’étranger, tout court — comment on fait (ou ne fait pas) avec lui. Holà ! pensez-vous, voilà un sujet bien sérieux qui ne va pas beaucoup nous sortir de l’actualité… Rassurez-vous : une petite lumière perce sous le gris, un petit feu couve, qui réchauffe le cœur et l’esprit. Les livres, les écrivains, ça sert à ça. A tenir chaud quand il fait froid.



Piranha : « des livres à dévorer »

Des infos rapides, pour commencer ? Bonne nouvelle : en ce début d’année, une petite maison d’édition a décidé de se lancer dans le grand bain. Son nom ? Piranha. Houlà ! « Nous avons choisi piranha pour nom car c’est un animal extrêmement agile et rapide bien que petit, et c’est ce que nous essayons d’être, explique son patron Jean-Marc Loubet au « Matricule des anges » qui l’a interviewé. Il permet également d’avoir une identité visuelle forte, indispensable pour assurer la visibilité de nos livres. (…) Piranha, ce sont des livres à dévorer… et non un éditeur agressif », sourit-il. Au programme de la maison : de la littérature étrangère, allemande en particulier, et un rythme de publication soutenu d’une vingtaine de livres par an. A suivre, donc.


La littérature française au rencart ?

Dans « Books », on est tombé sur une nouvelle qui nous a beaucoup moins réjoui. Professeur émérite à l’université de Melbourne et spécialiste du roman français, raconte le mag, Colin Nettelbeck a constaté « de surprenantes omissions » dans la « Cambridge Introduction to French Literature » parue en 2015 : Ronsard, Du Bellay, Louise Labbé, Chateaubriand, Lamartine, Musset, Claudel, Valéry ne figurent pas, en effet, dans l’anthologie. Et le professeur de noter « le déclin de l’intérêt pour la littérature française dans le monde anglophone, y compris les universités, depuis cinquante ans ou plus ». C’est irritant, ça. Mais faut-il prendre cet avis pour argent comptant ?


Maylis de Kerangal applaudie outre-Manche

Les Anglo-Saxons sont ils si rosses avec les auteurs Frenchy ? Ils n’ont pas boudé, loin s’en faut, le très controversé « Soumission » de Michel Houellebecq (ni ses précédents ouvrages). Ils ont aussi, toujours d’après « Books », énormément apprécié « Naissance d’un pont », premier livre traduit en anglais de Maylis de Kerangal. Qu’est-ce que ce sera quand « Réparer les vivants » paraîtra ! Comme quoi, il n’y a pas de quoi désespérer, hmmm.


Scoop : Linn Ullmann raconte son enfance

Une petite incursion dans les livres qui viennent de paraître à l’étranger, ça vous dit ? Scoop ! Alors qu’elle s’était jusque-là refusé à évoquer ses célèbres parents, Ingmar Bergman et Liv Ullmann, « Books », encore, nous l’apprend : la romancière Linn Ullmann vient de faire paraître en Norvège, chez Forlaget Oktober,  « De uralige » (« Les inquiets »), un livre « entre Mémoires et autofiction ». Pas tout roses, les souvenirs de Linn ont visiblement ému la presse et les lecteurs… A quand sa traduction en français, chez Actes Sud, vraisemblablement ?


Trump, Hillary, l’argent et la démocratie

Mais sortons des brèves, voyons un peu plus grand. Dans son numéro de février, « Books » consacre un dossier assez passionnant aux élections américaines. Son titre ? « Les milliardaires mènent le jeu ». Construit autour de deux articles parus à l’occasion de la parution de l’autobiographie de Donald Trump (« Time to Get Tough », Regnery Publishing, 2011) et d’un ouvrage plus technique (« Citizens United vs. Federal Election Commission », 2010), le dossier permet de comprendre comment et pourquoi l’argent, chez Trump comme chez Hillary, est, plus que jamais, devenu le nerf des élections, et… ce que cela induit. « Par la grâce d’une série d’arrêts de la Cour suprême, acquise au camp conservateur, toutes les limites imposées aux dons politiques ont été levées, résume Elizabeth Drew dans « The New York Review of Books ». A droite comme à gauche, les milliardaires mènent désormais le jeu politique américain. A la clé, une démocratie atrophiée, au service des intérêts des super-riches ». Ah, ça défrise !


Kamel Daoud, Mathias Enard et le Mal absolu


Mais revenons chez nous, voulez-vous ? Ce mois-ci, « Le Magazine littéraire » propose un « dialogue exclusif » — et de choix — entre Mathias Enard et Kamel Daoud. Le premier, vous le savez, a remporté le Goncourt avec « Boussole » (Actes Sud) et le second, le Goncourt du premier roman avec « Meursault, contre-enquête » (Actes Sud, itou). Au menu de la discussion des deux lauréats, un sujet d’envergure : « le Mal ». Qu’est-ce qui incarne le mal absolu pour Mathias Enard ? « L’ignorance d’autrui, de la possibilité de la différence. C’est le degré zéro de la curiosité ». Daoud est plus précis. Pour lui, « le mal absolu (…), c’est la rupture du lien avec l’Autre, cet attentat commis contre l’altérité, pour casser ce lien. (…) Ce qui m’avait fasciné dans « L’étranger », explique-t-il, c’était justement le fait que Camus y interroge l’altérité. Ca se résout par le meurtre. Aujourd’hui, on y est : Que faire avec l’autre ? l’Arabe ? le rescapé ? le Français qui n’est pas de souche ? l’Occidental quand il est chez nous ? le Noir ? le juif ? le chrétien ? » C’est assez joliment synthétisé, pas vrai ?

Dany Laferrière et le mal français

A la question de savoir s’il y a « un mal spécifiquement français », Kamel Daoud fait cette réponse : « Si la France est un cas, c’est en raison de l’importance de sa communauté musulmane, et parce que c’est un pays qui exacerbe des contradictions internes et externes et entretient des rapports encore ambigus avec son histoire coloniale. Cela dit, la situation que nous vivons va bien au-delà. Je suis désolé mais je ne le vois pas comme un mal français ». Dany Laferrière partage-t-il cet avis ?



Etrange et heureuse coïncidence : dans la grande interview qu’il donne ce mois-ci à « Transfuge », l’auteur de « Mythologies américaines » (Grasset) souligne un trait de caractère bien français qui donne à penser qu’il y a, quoi qu’on en dise, bel et bien quelque chose qui grippe dans notre ouverture à l’autre et à l’étranger : « On n’a pas réussi ici cette chose américaine qui fait que tous les gens aux Etats-Unis croient qu’ils sont américains, dit-il. (…) Je ne trouve pas qu’il y a une polysémie intéressante en France. Je vois une histoire plus simple de protection des biens : on essaie d’éliminer le plus d’héritiers possible et de faire en sorte que l’identité française se résume à des limitations extrêmement précises. On reste entre soi. (…) quand on lit les romans du XIXe, on comprend que ce qui suscite ici la plus grande passion, c’est l’héritage. Et j’ai l’impression que cette lutte se poursuit sur le plan national ». Accrochés à leurs biens, repliés sur eux-mêmes et fermés à l’autre, les Français ? Voilà une idée intéressante, qui mérite réflexion.

La littérature contre le Mal : la belle histoire de Bernard Wallet et de Verticales


Que peut la littérature contre le Mal ? A priori pas grand-chose. Et aussi bien tout… Pour sortir des clichés, se réconcilier avec cet Autre qui nous fait si peur, dans « Le Magazine littéraire », Mathias Enard et Kamel Daoud recommandent d’une seule voix la lecture du poète iranien musulman du VIIIe siècle Abou Nouwas. Etrange coïncidence (bis) : les « Poèmes bacchiques et libertins » d’Abou Nouwas ont été publiés en France par Bernard Wallet, fondateur des éditions Verticales et auteur de « Paysage avec palmiers » (Tristram), à qui « Le Matricule des anges » consacre un gros dossier qui se lit comme un roman tant le bonhomme est passionnant.
Bernard Wallet, qui a beaucoup bourlingué et a vu la guerre de près, n’a cessé de se frotter à l’autre avec une passion inentamée et a « toujours été passionné par le monde arabe ». C’est d’ailleurs comme cela, contre la guerre et les préjugés, que Verticales est né. « En 1986, raconte-t-il, j’avais envisagé de créer chez Denoël une collection qui aurait pour nom Périphérique (Verticales est né, je crois, de ce projet avorté) avec cette idée de donner (…) la voix à ces jeunes gens dont la parole ne nous parvenait pas et qui avaient tant à nous apprendre sur leur vie en périphérie et sur leur vision du monde. Et je voulais en même temps donner une place aux écrivains orientaux contemporains et à ceux des siècles passés. Mais on a trouvé que ce projet était irréaliste et, à ma grande déception, il n’a pas vu le jour. Il me semble que si je redevenais éditeur (Bernard Wallet a quitté l’édition en 2009, ndlr), c’est à ce genre de projets que je m’attellerais, histoire de faire un sort à l’ignorance et aux préjugés ». Les livres ont en effet ce pouvoir. Personne ne peut le leur enlever. Ca fait une vraie bonne raison de lire !

S’auto-éditer : comment on fait ?

Cela fait-il une bonne raison d’écrire ? Quand on a vu le dossier de couverture de « Lire » — « Comment se faire éditer ? » —, on avoue, on a tiqué. Parce que cela a déjà été fait, que c’est un peu, disons, opportuniste, puisque, c’est connu, tout le monde ou presque veut écrire (ce que le magazine ne manque pas de rappeler) et que le Net permet désormais à tous les écrivains en herbe de réaliser leur rêve. Il ne faut pas oublier, en effet, que le roman qui s’est le plus vendu en France l’an dernier (à 624 600 exemplaires d’après « Livres Hebdo ») est un livre auto-édité : « Cinquante nuances de Grey ». Les livres de la série « After » d’Anna Todd (classés respectivement 10e, 11e, 13e, 16e et 17e dans la liste des meilleures ventes 2015 de « Livres Hebdo », 1 079 500 exemplaires vendus en tout) sont aussi dans ce cas. Editée chez Michel Lafon, Agnès Martin-Lugand, dont le troisième roman, « La vie est facile ne t’inquiète pas » (98 800 ex.), figure à la 28e place du même classement, devant Sylvain Tesson, Maxime Chattam et Laurent Binet (!), a, elle aussi, démarré en s’auto-éditant. Cela fait de sacrées bonnes raisons de se pencher sur la question, et on aurait aimé, en vrai, que « Lire » y consacre plus de deux pages (sur dix), fort bien faites au demeurant… On y apprend, notamment, comment Agnès Martin-Lugand, justement, s’y est prise pour faire « grimper » son premier livre dans le classement des cent meilleures ventes d’e-books — un vrai jeu de stratégie ! On y apprend aussi, et surtout, ce que cela coûte de s’auto-éditer. Et ? Et… on ne va pas ici tout dévoiler (hé, hé !), mais il faut compter minimum 500 euros, visiblement. Pour en savoir plus, rendez-vous dans « Lire », hmmm ? Sur ce, bonnes lectures ! Avant d’écrire, il vaut mieux commencer par là.


Barbara Lambert


A lire : Revue de presse #1 de janvier 2016

 

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Commentaires (2)

  • Geneviève Munier le 07/03/2016 à 15h15

    Essai transformé ! Votre deuxième revue de presse est tout aussi intéressante que la première. Bien réalisée, bien présentée, il me semble que chacun peut en tirer quelque chose. C'est bien l'objectif, non ?

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  • Florel le 22/02/2016 à 18h12

    Sympa cette visite des magasines littéraires, même si pour le coup les propos écrient me semble complètement faux et éculés. Par exemple ce n'est plus l'ignorance qui fait l'hostilité aujourd'hui, mais la réalité. De plus être hostile ne signifient pas être fermé à tout le monde !
    Y a pas à dire je n'aime pas ces gens qui donnent des leçons sans avoir une vision réelle des choses mais gardent les bons vieux clichés pour faire la morale.
    Cela étant le propos de Daoud donne à creuser.

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